Yvonne 5/8
Yvonne soupire, ce que ses voisins interprètent comme un accès de mélancolie. Marie, installée à sa droite, pose sa main sur son avant-bras. Les femmes se regardent. Yvonne lit de la tristesse dans ses yeux et l’absence d’un quelconque reflet de plaisir : plaisir de vivre, plaisir de jouir, plaisir d’être au monde. Marie est une femme de déplaisir et de contrainte, c’est écrit dans ses yeux.
Yvonne détourne le regard vers les autres convives de sa table. Ils sont sept dont trois couples. Même Natacha et Ambroise, pourtant bien plus jeunes qu’elle, semblent défaits de toute chair. Absents à leur sensualité. Ils n’habitent pas leur corps qui les entoure comme un encombrant. Ils sont raides, lui plus particulièrement ; elle porte sa tête telle une couronne posée sur un cou de danseuse ; son menton est légèrement relevé vers le ciel, ce qui lui donne l’air de toiser tout et tout le monde. Ils sont charmants, cela va sans dire. Mais est-ce suffisant ?
Yvonne les imagine dans leur chambre et sourit à cette évocation pleine de crudité. Elle les déshabille et les allonge, raidis l’un contre l’autre. Ambroise ne caresse pas Natacha avant de se mettre au-dessus de sa partenaire et de la pénétrer. Yvonne voit balloter le boudin de chair molle qui entoure son ventre d’homme ; la seule partie souple de son corps, se dit-elle en souriant davantage. Mais les préliminaires, bon sang ! se dit-elle. Et comment un homme peut-il se mettre à bander sans même toucher l’autre ou à peine. Si tout est une histoire de fantasmes, d’images mentales qui génèrent à elles seule l’excitation, alors, l’autre n’est rien qu’une enveloppe corporelle propice ?
Dans son imaginaire, Ambroise copule comme son Charles, vite fait, le souffle court. Natacha reste en mal d’amour, avide de plaisir et de jouissance. Mais peut-être sait-elle y accéder seule, comme de plus en plus de femmes aujourd’hui, toutes générations confondues.
Yvonne regarde avec insistance la jeune femme sans pour autant déceler dans ses yeux le brillant révélateur. Comment lire la capacité jouissive d’une femme autrement que dans son regard ? Par la force de son sourire, sa légèreté, la façon qu’elle a de se déplacer, de faire corps avec elle, d’être un tout accompli. (…)