Yvonne 4/8
Charles n’était pas un amant au sens où Yvonne l’entendait maintenant. Il était un homme dont les besoins, en termes de sexualité, se résumaient au fait de s’allonger sur sa femme, de s’agiter quelques minutes en elle, avant de s’étendre et de sombrer dans un profond sommeil.
Son plaisir à elle ? Il ne s’en était jamais préoccupé. Jamais en effet ne lui avait-elle entendu poser la question de savoir de quoi elle aurait pu avoir envie, comment elle aurait aimé qu’il la prenne, comment encore elle aurait apprécié lui faire l’amour, tout simplement. À chacune de ses tentatives d’évoquer la chose avec Charles, Yvonne tournait gentiment autour du pot pour l’y conduire délicatement. Charles se fermait systématiquement avant d’aboyer son désaccord et son mal-être. Ici comme ailleurs, il était incapable de se remettre en question. Ainsi, dans le couple qu’ils avaient formé, la parole n’avait jamais été libre autour de la question du sexe.
Yvonne, qui n’était pas à générer du regret, convint néanmoins que si elle avait su plus tôt ce qu’était le plaisir de la chair, elle se serait probablement mise en quête d’un amant digne de ce nom. Aujourd’hui qu’elle était devenue une femme avertie, elle recourait aussi souvent que de besoin aux plaisirs auxquels elle avait enfin été initiée.
Dans la salle de restaurant du centre de vacances, après qu’elle a fait l’annonce de la date anniversaire la concernant, Yvonne se demande combien des couples présents ont encore une sexualité. Combien d’entre eux se prennent dans les bras l’un l’autre. Combien se caressent sans voir le temps passer pour le seul plaisir du contact de leur peau. Combien jouissent l’un de l’autre, l’un avec l’autre, en des postures acrobatiques peut-être, cherchant à innover pour renouveler ce moment d’échange et de partage à la mesure de ce que les corps vieillissants permettent.
Ses yeux parcourent les tables à la recherche d’un indice : soupe à la grimace ici, lèvres serrées comme aspirées à l’intérieur de la bouche là ; petit déjeuner automatisé ailleurs. La joie du ventre lui semble parfaitement absente de ces gens-là. (…)