Yvonne 2/8
La cadette était partie vivre dans les îles où elle avait suivi celui qu’elle appelait l’homme de sa vie, cuisinier dans une chaîne d’hôtels de luxe, ce qui l’amenait à fréquemment changer de lieu d’activité. Jona, puisque c’est ainsi que se faisait dorénavant appeler la fille d’Yvonne, ne travaillait pas. Elle se contentait de vivre des revenus de celui dont elle était totalement dépendante. Yvonne avait essayé de l’alerter quant à la nécessité de s’émanciper de sa condition de femme servile. En vain. Jona se moquait de sa mère qui, elle, avait quitté son métier chéri pour mettre au monde des enfants et les élever, sans jamais retourner à l’usine. Elle-même asservie aux revenus de son mari. Ce qu’Yvonne exécrait chez sa fille, c’était son oisiveté, son inconscience de la réalité du monde, sa capacité à la domesticité.
Quant au benjamin, il poursuivait mollement des études de psychologie avec la vague ambition de devenir thérapeute. Yvonne se demandait s’il n’était pas homosexuel, ce qui n’avait pas encore été confirmé mais, d’après elle, ne saurait tarder. Car, comme elle se plaisait à le répéter à ses enfants quand ils tentaient de dissimuler quelque fait : « Une mère connaît ses enfants mieux que personne, aussi vous ne pourrez jamais rien me cacher ! » Elle se souvenait de l’air gêné qu’affichait parfois Michka quand cette phrase survenait, cependant qu’elle se moquait bien de savoir ce que son fils construisait de sa vie amoureuse.
Veuve, Yvonne continuait de bénéficier des avantages accordés aux employés comme à leurs ayants-droit. Aussi, chaque été comme chaque hiver, réservait-elle un séjour à la plage ou à la montagne dans l’un des nombreux centres de vacances que l’entreprise possédait en France et à l’étranger. À son âge, elle avait mis fin aux séjours au lointain, leur préférant quelque valeur sûre « bien de chez nous », comme elle se plaisait à le répéter. Elle suivait les usages consistant à être à la plage en été, à la montagne en hiver. (…)