Viol. Une histoire d’amour
En 2003, Joyce Carol Oates publie Rape. A love story aux États-Unis. Le roman est traduit par Claude Seban et paraît en 2006 en France aux éditions Philippe Rey. C’est également en 2003 que paraît Trauma, mon premier roman, sur le sujet similaire de la violence sexuelle qui fracasse les vies quand des hommes s’arrogent le droit d’importuner des femmes. Quand ils croient avoir le droit de se « servir ».
Dans Viol. Une histoire d’amour, l’auteure pose le ton dès le premier chapitre intitulé « Elle l’a cherché ». Une femme, cette femme-là particulièrement, porte sa responsabilité dans le viol qu’elle subit. Du moins, c’est ce qu’une sorte de voix off retraçant l’inconscient collectif pose avec une certaine insistance. La suite sera sans concession.
Tina Maguire, jeune veuve, mère d’une fillette de 12 ans, est une femme sans doute un peu trop libre, un peu trop séduisante, un peu trop susceptible d’exciter les fantasmes de certains des hommes de Niagara Falls où elle vit.
« Une femme comme ça, trente-cinq ans, habillée comme une adolescente. Débardeur, jean coupé, crinière de cheveux blonds décolorés, frisottés. Jambes nues, sandales à talons hauts ? Des vêtements sexys qui lui moulent les seins, les fesses, elle s’attendait à quoi ? »
Le soir du 4 juillet 1996, Tina participe à l’événement de la fête nationale chez son amant Casey. De la bière, de la musique, des ami-es, l’été est chaud. Peu après minuit, elle décide de renter à la maison et réveille sa fille, endormie sur le canapé. Elles pourraient rester dormir chez Casey, mais Tina a envie de prendre l’air et de rentrer chez elle avec sa fille.
La traversée du parc leur sera fatale quand une bande de jeunes avinés et drogués croisent mère et fille et deviennent subitement des chiens en meute. Bethie est brutalisée, se fait déboîter l’épaule et sauve sa peau en se cachant sous les bateaux du hangar dans lequel sa mère est battue, violée, laissée pour morte par huit monstres.
La fillette sortira chercher du secours et l’agent Dromoor sera le premier à croiser son regard sur les lieux du viol. Tina et Dromoor s’étaient brièvement rencontrés deux ans auparavant dans un bar. Pourtant, le policier se laissera embarquer émotionnellement dans cette histoire, témoignant son soutien à Tina encore convalescente, contrairement aux principes de sa profession.
Pendant que Tina est hospitalisée, Bethie identifie trois des violeurs. Huit hommes sont interpelés.
« Dans le couloir, ta grand-mère exige de savoir quand ces animaux seront envoyés en prison. »
Mère et fille sont rongées d’inquiétude. Les violeurs ont payé une caution, ils sont dehors, vivent dans le même quartier que la mère de Tina chez qui elles ont trouvé refuge. Dans les environs, la pression est forte, les menaces sont récurrentes. Le chat disparaît.
En septembre, une première audience rassemble violeurs, violée et blessée. Les criminels se sont payé un avocat ignoble qui n’hésite pas à instiller le doute en retournant la situation. Tina est quasiment accusée d’avoir consenti à des rapports payants avec ces hommes, des jeunes gens du quartier qu’elle connaît bien. La négligence de la mère envers sa fillette qu’elle aurait osé associer à cette partie est pointée. Le doute est disséminé.
« La parole de cette femme contre la leur. Tout le monde peut crier au viol. Un doute raisonnable, c’est tout ce qu’il faut à un jury. Qui peut prouver, réfuter ? »
La salle est sous le choc. Tina se sent trahie, salie à nouveau. Il n’y aura pas de procès. Alors Dromoor, conscient des fragilités d’une justice dont les rouages ruinent l’efficacité, pense qu’il a été désigné, choisi, pour clarifier la situation.
Tout au long du roman, Joyce Carol Oates alterne les modes narratifs : narration extérieure, pensées intérieures de différents personnages, adresse quand il s’agit du personnage de Bethie, rumeur ou qu’en dira-t-on pour appuyer certaines scènes. Le texte est nerveux. Il embarque à travers la cruauté humaine, l’injustice, le dénigrement.
La situation est bouleversante et son traitement dit aussi la double violence faite aux femmes quand, après l’abattage méthodique par la meute, leur parole est mise en doute, leur témoignage contesté et que, parfois, mères et sœurs des criminels sont parties prenantes du déni. Mais, à la différence de ce qui survient dans la vraie vie quand le crime demeure impuni, le roman, usant de son jeu des possibles, règle les comptes de façon jubilatoire !
Le roman de Joyce Carol Oates est une fiction réaliste. Le livre se lit dans l’urgence , la lecture poussée par l’envie de connaître le dénouement, tant la situation que traverse Tina est d’une intenable cruauté.
Quant au sous-titre Une histoire d’amour, j’en viens à me demander si l’auteure n’a pas ajouté les pages à ce sujet comme pour adoucir un ensemble abrupt, cruel… C’est, à mes yeux, la partie la moins convaincante.
Viol. Une histoire d’amour est un livre à confier à tous ceux qui doutent encore de ce que violer signifie et aux autres qui pensent que, dans tous les cas, elle l’a bien cherché. Un livre à confier à toutes celles qui, récemment, ont cru pertinent de signer une tribune appelant au droit des hommes à la « liberté » d’importuner. Celles qui fantasment le viol et la possible jouissance dans cette violence…