Train à grande vitesse
Petit matin. Dans les rues, quelques groupes de fêtards battent le pavé alors que le jour est levé depuis peu. Début du mondial de football, incursion du printemps qui échauffe et donne soif. Femmes en talons impossibles. Hommes hirsutes qui hurlent leur alcool.
La veille, nombreuses sont celles – et ceux – qui ont été privées d’un train pour le trajet qu’elles avaient projeté. Cheminots en grève. Revendications largement commentées par les journalistes et les analystes. Négociations bloquées avec le gouvernement.
Dans la gare, le hall immense est clairsemé de passagères aux bagages colorés. Cheveux encore plaqués à l’oreiller récemment quitté. Visages chiffonnés et regards endormis. Il est curieusement tôt pour partir en week-end.
Bien que les rames soient déjà stationnées, les panneaux d’affichage tiennent au secret le numéro de quai depuis lequel le train partira. Pigeons et moineaux volètent sous les arches du plafond de béton. Odeur de viennoiserie industrielle, de pain chaud. Atmosphère étrangement calme dans ce lieu habituellement grouillant de monde, crissant de fers serrés au freinement des trains, bruissant d’annonces sonores encadrées d’un indicatif en parfait conditionneur du contrôle citoyen en auto-contrôle.
Soudain le signal est donné. Les passagères auparavant ralenties s’emparent de leurs valises, endossent leur sac, chaussent leurs lunettes. S’égaillent à travers le hall et rejoignent la même direction : quai numéro 5. Interminable et encore au calme de ses moteurs en veille, le train à grande vitesse accueille les voyageurs tout au long de ses deux rames accollées.
En rappel de la cavale dans les couloirs de métro parcourus en foulées resserrées, le rythme de certaines est frénétique. Le train quittera la gare dans vingt minutes. S’agit-il de prendre la meilleure place ?
Un couple avance tranquillement. Ventre rond, lourd à porter pour elle. Ils montent dans la voiture de tête et s’installent. Fauteuil réglable à ajuster tandis qu’il serre les valises dans les porte-bagages. Elle a sommeil. Lui dit et le répète à voix basse. Elle a envie de dormir. Il descend fumer une cigarette. La photographie à travers la vitre teintée depuis son téléphone mobile. Puis il remonte dans le train emportant avec lui l’odeur de tabac tiède qui se dissémine dans le wagon.
Elle a faim. Faim et sommeil à la fois. Ils se caressent. Échangent un baiser. Il passe une main sur son ventre rebondi. Extrait un livre de poche de son sac à dos qu’il dépose sur la tablette du quatre places en vis-à-vis qu’ils occupent tous deux pour le moment. L’un à côté de l’autre.
L’annonce du départ traverse les rames. Les accompagnants sont invités à quitter le train. Fermeture des portes. Coup de sifflet retenu à l’extérieur par les vitrages épais. Le paysage se décale lentement et le mouvement s’accélère.