Speaker’s Corner #4-2
Speaker’s Corner #2-2
« La menace terroriste grandissant dans toutes les bouches, les interdictions tombent. La surveillance s’accroit. Personne ne doit plus rien cacher sous peine de suspicion.
La répartition est ignorée. Le partage devenu caduc. La préservation n’a pas droit de cité. Générosité et solidarité devenues hors-la-loi. Le chacun pour soi envahit la planète.
Chaos de codes métamorphosés. Édictés et systématiquement revisités. Changement sémantique permanent. Formatage consciencieux récurrent. Tout et son contraire à toutes les sauces.
Nouvelles dramatiques à forcer la tension et saisons de mode pour nous varier l’état d’esprit. Humeurs associées pour nous faire céder. Nous mettre à genoux et défaire toute opposition. Massacres mis en scène. Relayés. Images dégradantes assénées. Propos angoissants. L’humanité en lutte contre l’humanité.
Suivre mot à mot la règle promulguée et ne jamais tenter de nous en éloigner. À nos risques et périls clairement énoncé. Volonté de nous marquer. Durablement instables. Comme on brûle la croupe d’un animal d’élevage au fer rougi dans le feu. Boursouflure. Enflure. Infection souvent. La marque à l’intérieur dorénavant. Son accès aux seuls initiés. Lecture pour public restreint trié sur le volet. Ce ne sont plus les corps que l’on s’approprie mais les esprits. L’esclavage dans la discrétion. L’asservissement par le consentement subjectif. Le conditionnement lentement opéré pour son efficacité.
À nouveau important de tracer les personnes. Répertoriées, nous sommes mises en codes pour être mieux fouillées. À profil type comportement type. Indispensable de notifier et de connoter de grandes lignes comportementales. Que chacune opte pour la sienne. Qu’elle choisisse et s’enfiche. Et qu’elle s’y tienne. Selon les ordres rendus dans cette voie. Aucune personnalisation possible. Une case à biffer, l’autolimitation pour ne pas décocher. La communauté humaine à hiérarchiser.
Nous pousser à comprendre que choisir est impossible. Choisir pour sa propre vie.
La crainte du débordement resserre les mailles des filets tendus au-dessus de nos têtes — invisibles dans nos esprits. Le monde en peep-show bloquant les cervicales de celles qui reluquent. Installant des contusions à force de tension. Tirées vers le bas. Rendues veules afin qu’aucune ne prenne de hauteur. Élargisse son champ de vision. Mette de la distance avec l’incompréhension. Répète les mots oubliés pour les remettre en fonction.
L’unique voie allouée nommée « pour votre sécurité ». Obéissance servile. Le moindre geste dépassant ce registre considéré comme acte de résistance délibéré. Sujet à sanctions. Répression. Enfermement. Médication forcenée. Une sécurité renforcée à l’aune de grands projets argumentés à la culpabilité entrepris pour la consolider.
Danger imminent. Surveiller. Repérer. Pister. Collaborer. Dénoncer. Et là, ne jamais renoncer. Nous suspecter au lieu de nous parler. Nous interpréter au lieu de nous découvrir. Nous convaincre au lieu de nous comprendre. Douter de nous au lieu de nous écouter. Nous réduire et nous recroqueviller au lieu de nous déployer. Nous détester et nous y conforter. Nous haïr pour ne pas nous aimer.
La sécurité, elle, nous élève. Renforce notre unicité. Dogme de la modernité. Parce qu’il est sain de grandir dans la crainte. Parce qu’il est valeureux de travailler dans la peur, il n’y a qu’elle à révérer. Et quelques dieux au nom desquels les croisades n’ont jamais cessé.
Elle nous noie. Nous asphyxie. Nous fabrique inhumaines. Enfermées dans des craintes absurdes. Encagées dans des questions ineptes. Grillagées par notre terreur entretenue. Épurées par notre aveuglement. Réduites à fort peu par le lavage de notre esprit répété. Et celui de nos défenses naturelles.
Il serait plus simple de rester sans rien faire. De marcher au pas cadencé sans moufter. Nous aimons particulièrement les contretemps. »