Speaker’s Corner #4-1
« Sous le choc de catastrophes, explosions, séismes, accidents de train, sous l’effet de la terreur apparaissent souvent des troubles mentaux. »
Fritz Lang, Le Testament du Dr Mabuse, 1932
« Devant l’étendue du massacre qui se prépare, il nous est impossible de rester inertes. De prolonger le temps de l’indolence qu’il nous est vivement conseillé de pratiquer. Nouvelle religion tout droit extraite du tiroir à confusion d’une époque distorsionnée : vivre pour soi, assouvir la moindre de ses pulsions, renoncer à toute frustration, jouir sans entrave, mais craindre l’ennemi de l’intérieur.
Tout est attaqué. Absolument tout. Repères dégommés. Société tailladée. Pillage organisé. Tout ce que certains reluquent dans la manne du bien collectif, né pour éviter de nouveaux massacres inhumains, ce tout est redistribué à quelques fiers propriétaires. Élus de fortune, ils redessinent le monde à leur mode sacrificiel.
Des jeux, du pain et du sang pour la population spectatrice. Quelques paillettes dispersées en miroir aux alouettes.
Les offensives surviennent par morceaux — bribes à l’égarement. Comme un vautour arracherait des chairs par lambeaux du bout de son bec retourné, l’univers est dépecé. Sous nos yeux révulsés. Devant notre compréhension de l’horreur pétrifiée. À force de bandes sanguinolentes lentement extirpées en public aussitôt jetées au bourbier, nous attendons le prochain passage rapace.
Frémir, demeurer fascinées, craindre, nous encager : nous avons pour consigne de nous comporter ainsi. Les mots « inéluctable », « irrémédiable », « pas d’alternative » en mantra de notre quotidien paralysé.
Aisé de mettre en pièces. Donné à tout un chacun de découper sans fléchir. De façon mécanique, méthodique, de ciseler en tout sens. Démontage brutal sûr de son effet, ce que d’aucuns apprécient quand leur plaisir à torturer n’est jamais rassasié. Pour les autres, une fois les codes explosés, les règles revisitées, tout brouillé, remontage ou assemblage très long et fort complexe.
Chaque jour davantage harcelées, nous sommes bousculées. Matraquées. Molestées. Violées. Au plus profond. Au tréfonds de nos esprits. Là où l’équilibre tenait auparavant, nous devons remettre à flot pour conserver à niveau ce qui menace de sombrer. Dedans. Profondément. L’aplomb toujours plus difficile.
Encore sur notre propre voie — elle que chacune a eu le courage de choisir, consciente qu’on ne choisit pour personne d’autre que soi, le contraire étant fallacieux — nous passons des moments conséquents à forcer le rééquilibrage. À plusieurs. Seule devenant trop risqué. Trapézistes sans filet devant impérativement se suivre voire se précéder pour ne pas déraper, nous nous jetons vers une autre pour poursuivre le chemin. Une autre à laquelle tout donner. Son équilibre. Sa survie. Puis la réussite de son numéro. Évitant ainsi la fatalité d’une performance lentement et longuement apprivoisée tournant à son désavantage.
Entrées en contradiction par réflexe. Parce que le langage tenu heurte nos oreilles en nous tentant de devenir sourdes. Parce qu’il endommage notre capacité auditive. Celle qui nous relie à la compréhension du complexe. Foultitude de distorsions sonores pour nous abîmer. Comme autant de pédales d’effet qui modulent le son et le modifier à l’envi. Le portent loin de la compréhension commune. Dans des méandres de sournoiserie et de dénégations travaillées pour manipuler.
Nous avons mis au jour l’inconsistance de la soupe servie. Terne et repoussante, mauvais goût. Tout le monde doit en prendre et se resservir. Quittant l’envie de partager le contenu de son écuelle, léchant l’assiette pour bien la nettoyer. Jusqu’au prochain service. Jusqu’à en éclater. La morale édictée est au gavage personnel. La volonté de prendre la part de son prochain stimulée. (…) »