Soleil couchant #2
Épisode précédent à lire ici : Soleil couchant #1.
(…) La lumière ambrée du ciel avait gagné la salle du restaurant. Lui donnait un visage magnifique. Elle lui avait dit cet éclairage naturel vous va à merveille. Elle avait aimé son culot, son bon goût aussi. Cette douce chaleur qui montait de son ventre et distillait en elle le parfum du désir.
Elle avait pensé à l’amour. S’était demandé comment il était encore possible d’aimer dans ce monde brutal, mercantile et obsessionnel. Comment deux êtres s’en remettaient l’un à l’autre sans négociations tarifées, sans autre quête que celle du partage. Sans clichés pornographiques et rapports de domination.
Il avait interrompu son questionnement intérieur et nommé le fruit de ses propres errances. Il avait souri de se sentir un peu gêné, l’avait dit, elle avait adoré les fossettes sur ses joues. Il avait souhaité confier ses envies, il savait qu’elle pouvait les accueillir.
Il lui avait proposé de marcher avec elle pieds nus sur la plage. Il lui avait dit son désir de goûter à une baignade nocturne avec elle et de nager quelques brasses — l’océan était parfaitement serein ce soir. Elle avait dit son envie de regarder le ciel s’éteindre en sa compagnie. De nager, oui, volontiers, sans maillot de bain qu’elle avait laissé chez elle. Il avait souri à cette confidence, son regard brillant. Elle avait ri et ils avaient quitté leur table. Chacun avait réglé sa note et elle avait proposé de partager un dessert, ensuite, après le bain si le cœur leur en disait. Il avait souri à nouveau, avait glissé sa langue entre ses dents, pris une respiration, et avait gardé pour lui ce qu’il brûlait de répondre. Elle l’avait senti. Avait respecté cette retenue.
Elle avait trouvé l’air extraordinairement doux, iodé, tonique. Avait écouté le ressac, caresse à ses oreilles. Il avait pris son coude pour indiquer sa direction, elle avait aussitôt frissonné, suivi à travers ses fibres le trajet de cette sensation. Coude, cœur, ventre, jambes. Flux et reflux, puis genoux défaillants.
Elle avait quitté ses sandales d’un déhanchement maîtrisé, il avait soutenu son équilibre. Pieds nus, elle s’était reconnectée. Avait eu envie de profiter de l’instant, de cela seulement, son énergie en soutien à ce moment de la vie.
Avenue de l’océan, ils avaient marché dans le sable, approché l’eau. Il avait quitté ses espadrilles, remonté les jambes de son pantalon de toile au-dessus des genoux. Eau tiède, frisson au corps pour elle au premier contact. Ils s’étaient arrêtés. Avaient attendu que la nuit gagne le ciel en se délectant du spectacle. Puis ils s’étaient éloignés de la plage centrale.
Ils sont maintenant dans la pénombre au bord d’une mer irisée. Il est torse nu. Elle est dans ses bras, raidie, sa main droite posée sur le curieux renfoncement de sa poitrine. Elle explore son territoire.
Juste avant ils se sont embrassés. La danse des lèvres, la rencontre des langues a incendié son ventre. Il l’a invitée à la baignade, a retiré son tee-shirt. Elle l’a observé se dévêtir, son sourire s’est figé. Elle a dégluti, a levé sa main droite, irrépressible besoin de toucher cette peau, cette construction physique qui la ramène des années plus tôt. Singularité du creux au plexus chez un homme qu’elle a aimé avant. Se love contre lui maintenant. Le regarde. Vérifie qui il est. Cherche un repère. Quelque chose l’aidant à se situer dans le temps. Elle pense à son âge, à sa vie, à la date du jour. Elle sait qu’elle se trouve dorénavant. Que cet hier qui la rejoint est lointain. Et qu’elle l’éprouve encore, si profond dans sa chair, au bord de cet océan hors saison.
Elle pleure et lui dit merci. Merci pour ce fil de mémoire qu’il lui permet de recontacter ce soir. Elle dit merci à la vie pour cette rencontre inédite. Merci !
Elle saisit les pans de son débardeur qu’elle ôte lentement par-dessus tête, glisse jupe et culotte sous ses hanches, les laisse tomber sur le sable. Elle est nue, les joues brillant de larmes.
Elle se glisse dans l’eau et partage avec l’océan l’immensité de son émotion.