Solak

Solak

Premier roman de Caroline Hinault paru au Rouergue noir en 2021, Solak est un quasi-huis-clos polaire.

Un narrateur, Piotr, et trois acolytes, Grizzly, Roq et le môme dans une station perdue au milieu de la neige et de la glace en hiver, de la toundra à la « belle » saison. Grizzly est le chercheur de la bande, l’intello, les trois autres, des militaires gardant le drapeau dans cette enclave loin de tout.

Ici, la folie de l’enfermement guette, exacerbée par la vodka livrée par le ciel quand l’hélicoptère du ravitaillement charrie les nouvelles cargaisons. Et, parfois, il dépose des personnels de remplacement.

Igor s’étant fait sauter le caisson, c’est le môme qui prend sa place, hélitreuillé comme une vulgaire cargaison. Le môme semble chétif, il est muet et sa présence électrise la station, Roq en particulier.

« La bête trônait enfin au milieu de la Centrale. Roq a sorti victorieux son couteau de survie, on aurait dit un fou qui observe l’éclat de sa lame avant de plonger dans le crime et puis il a éventré, le carton d’un trait net, une surpiqûre parfaite. Il a écarté les flancs de la boîte et poussé un beuglement heureux, je me suis penché pour voir les précieuses bouteilles, plus d’une centaine à vue de nez, jamais vu ça en vingt ans de Solak. »

Roq tire sur tout ce qui bouge à l’extérieur, pourvu que ça porte de la fourrure à revendre à bon prix. Il stocke les toisons dans une cabane qui pue la charogne et que lui seul fréquente, tout à son plaisir de l’éviscération et de la préparation des bêtes mortes.

À Solak, les hommes vivent en armes avec les dangers du dehors qui pourraient, à la moindre inattention, entrer dans la station et y semer le ravage : froid polaire, ours, tempêtes, glace fragile qui cède sous le pas… Aux dangers succède l’émerveillement des aurores boréales qui repeignent le ciel de traînées verdâtres. Le ciel étoilé qu’aucune pollution lumineuse ne vient réduire la nuit. Et la banquise, à perte de vue :

« À quel point c’est beau, impressionnant, désirable même, tout ce blanc merveilleux qui nous remet bien à notre petite place de virgule sale, ce genre de bavasseries que les poètes à la Grizzly enfilent comme des perles sur leur collier de naïveté à la con. »

Dans une langue singulière, oralisée d’expressions et de trouvailles à lire et relire, l’autrice déploie ses protagonistes à travers des scènes de la vie quotidienne où la violence des éléments rivalise avec les maigres moyens de survie dans le froid polaire, la lutte contre les prédateurs, les tensions entre des personnages contraints de partager un lieu restreint. L’hiver aidant, l’ennui le dispute à la provocation. Et les parties de carte finiront par ne plus endiguer l’animalité des humains.

« Le problème, c’est que les gens comme Grizzly savent pas lutter avec les vraies brutes qui ont jamais touché une goutte de nuance de leur vie alors que Grizzly a appris à nager dedans depuis sa tendre enfance, à croire qu’il en avait toute une piscine à la maison. Grizzly sait peut-être beaucoup de choses mais pas que pour gagner, il faut pas craindre la violence mais l’aimer. »

La nuit longue s’installe dans le paysage et Grizzly passe du temps dehors à surveiller ses capteurs avec le môme qui, de toute façon, n’a rien d’autre à faire. Un accident aurait pu leur être fatal si Piotr n’avait flairé le danger et réussi à les retrouver, en mission avec Roq contraint par les ordres de son supérieur à se mettre en action. Un traîneau de fortune permettra de ramener Grizzly à la station, une jambe cassée. Le môme parvenant tant bien que mal à suivre Piotr et Roq, tout à son épuisement.

Dans un bain d’obscurité quasi constante, les quatre résidents de la station passent le temps à dormir, à jouer aux cartes en buvant du thé ou de la vodka, à manger des repas en conserves dans l’attente de la saison suivante et du prochain ravitaillement. Car il ne se passe pas grand-chose, rien à vrai dire, sinon la proximité d’un ourson qui permet à Roq de faire un carton puis de dépecer don butin.

Est-ce le sang frais ou la lassitude qui tendent Roq à en craquer ? L’abus de vodka ou une forme de jalousie à l’encontre de Grizzly, le lettré ?

Dans une dernière partie aussi glaçante que surprenante, le roman bascule vers l’implosion de la station, ses protagonistes aux prises de pulsions dévorantes.

À Solak, le printemps tarde à éclore.

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