The Smell of us
Avec The Smell of us, Larry Clark signe un film qui s’inscrit implacablement dans son temps.
La première scène est éloquente. Paris, Palais de Tokyo. Le parvis est le lieu de rassemblement de jeunes du quartier. XVIe arrondissement, on pourrait les penser préservés, protégés, cat probablement issus de milieux favorisés. Rien de cela. Un clochard est allongé sur le parvis, sur la descente des skateurs qui utilisent son corps comme un obstacle, une barre de saut par-dessus laquelle réaliser quelque figure. En cas de raté, on imagine volontiers que le sort du clochard importe peu. Comme tout le reste, au fond, rien ne compte, rien n’a d’importance, tout se vaut.
Dans une vacuité abyssale, ces jeunes en plein désœuvrement sont rongés par leur anéantissement. Aucun projet sinon celui de se défoncer, de se prostituer pour une nouvelle planche, de belles chaussures ; pour passer le temps ou pour purger l’ennui, en mal de sensations fortes et de haine de soi, de son corps, de sa sexualité.
Pas d’autre culture que celle du skate, du phrasé approximatif, des rave où coule la sueur comme l’alcool. De la projection du réel via le Net en une déréalisation de sa propre non-existence. Tenir ainsi hors de soi ce que l’on n’arrive pas à intérioriser, ce pour quoi on ne peut vibrer, ce qui reste inaccessible émotionnellement.
Pas d’intimité, pas de jeux de séduction ni amoureux, pas de sentiment d’amour ou d’amitié, on partage son corps comme sa cigarette, avec la même nonchalance, devant la webcam pour que chacun voie, à l’écran, ce qui se déroule pourtant sous les yeux, devant tous, sans aucune pudeur ni retenue.
Demeurant incapables de toute phrase structurée, de pensée, d’arguments, de langage, même dans sa plus simple expression, ces jeunes en souffrance n’ont de cesse de masquer leur angoisse par la fuite du monde, la fuite d’eux-mêmes et de la rencontre qu’ils pourraient faire avec eux-mêmes. De rave en appartements luxueux à investir et à saccager, ils traînent les beaux quartiers, défaits d’émotion, d’empathie et de joie.
Le film se déroule dans ce plomb de vies moroses, en une succession d’images de skate, de danse, de sexe, de skate, d’alcool, de drogue, de danse, de sexe, d’images via le net. Sans doute le scénario aurait-il gagné à s’alléger de scènes sexuelles, parfois esthétiques, souvent trop longues et insistantes, pour gagner en épaisseur. Mais, peut-être qu’avec ce maigre scénario, tout était déjà dit.
Jeudi 15 janvier, David Le Breton était invité à l’école des Mines d’Albi pour une conférence. Sociologue et anthropologue, il analyse depuis des années les conduites à risques et témoigne de ses travaux dans ses livres. Au cours de la rencontre, il posait qu’un jeune sur cinq développait ce type de comportement. Un sur cinq, rapporté à l’échelle d’une classe moyenne, c’est six, voire sept élèves. L’époque, sa course à l’argent compétitif, la déréalisation jouée par les médias et le Net…
Sans être nécessairement dangereux pour autrui, ces jeunes en souffrance se mettent en péril, marchent sur le fil. Pour dépasser la douleur infligée — par leurs milieu familial bien souvent —, pour se trouver peut-être, en tout cas, pour reprendre la main, ils fabriquent leur souffrance pour ne plus céder la place à l’autre sur ce terrain-là. Scarifications, addictions, anorexie, recherche du coma, de la syncope, le risque corporel comme moteur d’une âme vide…
Dans le film de Larry Clark comme dans le constat de David Le Breton, pas de livres chez ces jeunes, pas de connaissances partagées, pas de compagnonnage. Un manque total de culture qui fait la difficulté d’être au monde, sans rien pour transcender, pour dépasser et s’ouvrir, au-delà de soi.