Real
Kurosawa signe un curieux film. Entre fiction, science-fiction, manga et film fantastique, deux personnages errent dans la mémoire de l’un et de l’autre.
Dans l’univers de Real, Atsumi et Kiochi vivent à une époque où le coma se visite de l’intérieur. Tant et si bien que l’on peut tenter de « faire revenir » la personne à la vie à force de visites rendues à son inconscient. Il s’agit de repousser les limites que le coma retient. Un peu de Matrix pour le matériel mis en œuvre lors de ces voyages intérieurs, accompagné de sourds bruits métalliques et d’un peu d’austérité quand même. Équipe médicale de choc, en caution professionnelle de ces « contacts » avec l’esprit de l’autre.
Atsumi et Kiochi se connaissent depuis la prime enfance. Élèves d’une même classe de primaire, sur l’île d’Hikone, ils sont très proches, au grand regret de l’un de leurs camarades. Plus tard, ils partagent leur vie. Atsumi est mangaka, Kiochi travaille dans une salle de sport. Elle dessine beaucoup, angoisse pour les délais de remise des épisodes de sa série culte, ce qui semble l’agacer, lui. Ils se disputent.
Je les trouve d’abord interéssants : elle en femme moderne autonome, créatrice à succès ; lui en compagnon jaloux de ses planches auxquelles elle consacre visiblement plus de temps qu’à lui.
Elle fait une tentative de suicide et le film bascule, Quelques minutes après les premières images, nous voilà déjà un an plus tard. Atsumi dans le coma et Kiochi déterminé à la faire revenir parmi les vivants.
Lors des premières visites dans l’esprit comateux d’Atsumi, Kiochi rencontre un univers qu’il maîtrise mal. Des zombies philosophiques croisent sa route, on apprend que c’est normal, pure création de l’esprit. De même que quelques artifices venant s’interposer dans cet ailleurs où une certaine forme de violence fascine. Et le brouillard qui symbolise les limites de l’inconscient.
Quelques sublimes images à la Tarkovski plus loin – appartement rempli d’eau ; paysages extérieurs décatis ; immeubles lépreux et décors post apocalypse dont je me demande s’ils symbolisent les décombres de Fukushima – le scénario s’inverse. En fait, c’est Kiochi qui est dans le coma tandis qu’Atsumi tente de le ramener à la vie. La proposition précédente, pure création de l’esprit comateux de Kiochi. Ah ! d’accord…
Mais déjà que le scénario était un peu fébrile avec sa succession de scènes jouées en partage de visions de l’esprit, parfaitement symbolisées par des passages flous signalant que l’on basculait d’une réalité à l’autre, puis racontées dans le prétendu réel, on arrive là à une tentative qui fonctionne mal. Le renversement de situation devient un pauvre artifice et, jusqu’à la fin du film, les ficelles visibles – trop – se succéderont dans un mélange de genre fatiguant. La SF vire au fantastique avec monstre à l’appui en symbole de la culpabilité : le monstre qui dévore l’esprit, c’est vrai, personne n’y avait jamais pensé !
Un peu de Shutter Island pour continuer l’embrouille les pieds dans l’eau, les méchants et les gentils qui ne sont pas toujours ceux qu’on croit, et le film s’étire pendant plus de deux heures.
Si Real se visite volontiers pour ses effets esthétiques, le reste, inspiré d’un livre ou d’un manga – je n’ai pas su trancher après lecture du générique en japonais – est de peu d’intérêt. En point d’orgue de beauté visuelle : un magnifique fondu de décor de la ville se transformant en volutes de peinture laisse sans voix. Un peu d’Inception cette fois.