Quarante-cinq ans
Kate et Geoff vivent une retraite paisiblement bourgeoise dans leur cottage anglais. Bibliothèques fournies — monsieur lit Kierkegaard, enfin, tente de le lire —, bon chien de compagnie. Madame conduit et promène l’animal, il semble qu’elle cuisine aussi. Monsieur vit au grand calme, peu sociable, peu actif. Le milieu est aisé, les problèmes ne sont pas de survie, de gestion d’un budget fragile : de ce côté-là, tout semble aller au mieux pour les deux protagonistes.
Dans la routine qui est la leur, deux éléments perturbateurs vont distiller leur trouble. D’abord, la fête des quarante-cinq ans de mariage, prévue pour la fin de la semaine. Et puis, le retour inattendu d’un cadavre du passé. Où l’on retrouve, très vite, dans une ambiance un brin old school, les bons rouages patriarcaux : madame s’affaire, prend la vie à bras le corps, monsieur s’inquiète, mais ne dit rien.
Les ami-es sont convié-es à la date anniversaire et tout semble à peu près s’organiser : location de sale, révision du menu, quoique… Mais Kate veille aux détails restant à accorder. Geoff sait qu’untel aura telle attitude. Une amie de Kate sait que Geoff pleurera le soir de ladite fête, comme son mari l’a fait pour leurs quarante ans… En terre connue, faites vos jeux, pourquoi se laisser surprendre ?
Tout irait à peu près bien en dépit du stress de l’organisation d’un événement glorifiant quarante-cinq années d’une vie en commun, mais Geoff a reçu un courrier de Suisse ou d’Autriche… des Alpes en somme ! Il apprend que la femme qu’il chérissait avant Kate, disparue dans une crevasse lors d’un accident d’alpinisme auquel il a assisté, a été retrouvée. Morte, cela va de soi. Mais avec le même visage que plus de quarante-cinq ans plus tôt. Elle n’aura pas changé, mais Geoff est un homme vieillissant, terriblement ému.
Bouleversée par la nouvelle, Kate saisit quelques bribes d’une histoire passée, survenue avant son arrivée dans la vie d’un homme dont elle découvre un pan de mystère. Geoff finit par renoncer à aller identifier le cadavre, mais la nouvelle le perturbe — il ne dit rien pour autant, un homme ne se plaint pas !
Dans la semaine qui se déroule avant la fête du samedi dédiée à l’anniversaire de mariage, Kate épie son mari, découvre qu’il a déclaré avoir épousé la femme retrouvée, ce qu’elle ignorait, visionne des films Super 8 durement révélateurs. Elle doute, tremble, s’inquiète.
L’ensemble est lent, quotidien, presque lisse mais sous tension.
Le film s’arrête au soir de la fête. Belles tenues, ami-es au rendez-vous, discours et premières danses, sur des airs de leur jeunesse.
Dans le rôle de Kate, Charlotte Rampling excelle en silences, regards et postures éloquentes, en capacité à tenir le cap alors que la mer tangue dangereusement. Tom Courtenay, qui interprète Geoff, donne à comprendre le poids du passé, la lourdeur des non-dits et des blessures qui n’ont pas été pansées. Et à eux deux, la difficulté de partager des inquiétudes, de se livrer sans retenue pour avancer ensemble, soulager, réparer et guérir.
Andrew Haigh réalise ce presque huis clos, d’une tranche de vie d’un couple au bord de l’implosion.