Projection
Installée sur le canapé du séjour ses jambes repliées sous ses fesses, elle écoute ce bruit sourd dedans. Cette fièvre qui couve et se déplace. Ce tremblement qui n’a de cesse. Cette rumeur ravalée. Cette attente lointaine.
Elle se demande. Ne comprend pas. Cherche et reste sans voie. Ne sait pas d’où ça vient cette violence. Cette urgence qui la dépasse. La déborde. Lui donne l’envie de tout faire pour assouvir ce rugissement de la chair.
Elle respire profondément. Caresse. Sourit.
Installer au dedans quelque chose d’invisible. Quelque chose qui remplit. Quelque chose qui détourne de soi. Faire grandir un autre que soi. Un qui vous déprend et vous envahit. Un qui vous hante sans visage. Se nourrit de vous et inquiète l’avenir.
Un qui, plus tard, viendra à la rencontre sans ambages. Obligeant à muter en animal, bête de somme accomplissant un travail surhumain. Un qui, coûte que coûte, cherchera la lumière, l’air à déchirer les poumons, la nourriture à ingérer.
Pourquoi ces pensées ? Pourquoi, se demande-t-elle, être à ce point obnubilée par la fonction d’un ventre qui pourrait se contenter de vivre sans se projeter dans un partage, une sous-location sans garantie. Pourquoi reconstruire un morceau de vie dans un autre puis l’accompagner des années, nourrir, vêtir, choyer, aimer même. Aimer. Quel drôle de concept.
Sans géniteur identifié, elle comprend que quelque chose lui échappe encore.