Primaire
Des ami-es me convient à partager une toile — expression un brin désuète qui dit aller au cinéma — avec le film Primaire. Je ne sais de quoi il s’agit et pense spontanément à un film politique, une plongée dans les coulisses d’élections internes, la lutte pour accéder au trône menée par des candidat-es dont si peu, à ce jour et au-delà de la fiction cinématographique, sont autre chose que des dauphins en attente des clés du royaume de France. Je prévois un documentaire dédié à la frénésie de certain-es pour accéder aux fonctions et conduire une politique asservie à des règles néolibérales — financières, essentiellement — qui imposent de défaire tout ce qui fait une société, certes imparfaite, mais une société où… mais je m’égare.
L’ambiance politique du moment m’aura conduite sur une mauvaise voie puisque Primaire raconte une fiction d’école primaire. Rien de politique donc… Pas si sûr !
À l’heure des bilans PISA où les élèves français-es sont mal classé-es, Primaire est une plongée dans une école urbaine. Élèves agité-es, enseignant-es surmené-es, La réalisatrice Hélène Angel y montre la classe avec réalisme, tandis q’un élève en difficulté familiale et sociale viendra fragiliser une équipe sous tension.
Florence — Sara Forestier — est la maitresse d’une classe de CM2. Cette année-là, les enjeux sont copieux puisqu’il s’agit d’accompagner au passage en collège. Tout y sera nouveau : les anciens « grands » de la primaire deviendront les « petits » nouveaux. Ils changeront de classe à chaque heure, et de cours comme d’enseignant-es. Ils doivent être au niveau et savoir lire et écrire avant le grand passage.
L’enseignante bénéficie d’un appartement de fonction avec loyer au sein de l’école et vit avec son fils qui se trouve aussi être son élève — il n’y a qu’une clés de CM2 dans l’établissement. Elle prend son métier très à cœur. Attentive aux enfants, elle enseigne avec bienveillance et ne compte pas ses heures quand il s’agit d’aider l’un-e ou l’autre à dépasser quelque difficulté.
Une enfant de la classe bénéficie de l’accompagnement d’une personne dédiée. Elle s’appelle Charlie, fait pleinement partie du groupe, tandis que son accompagnante est tentée de l’aider, un peu trop, à répondre aux exercices. Florence veille et recadre au besoin. Une enseignante stagiaire débarque pour quelques semaines et l’on éprouve que cela commence à faire beaucoup pour une seule et même personne que d’avoir à assumer, coordonner, accompagner tout ça, entre enfants et adultes. L’équilibre est fragile.
Dans cette école, les enseignant-es ne son pas dupes des programmes qui formatent les enfants au monde de l’entreprise. Où le mot compétence à remplacé le mot savoir ou acquisition, dans un système qui ne fait pas de la place à tout le monde et, déjà, sélectionne.
Alors, quand Sacha débarque provisoirement dans la classe de Florence, quand il confie qu’il est seul depuis douze jours, qu’il ne sait pas quand sa mère reviendra, c’est le début d’une enquête qui prendra le peu d’énergie restant et finira par faire mal. En parallèle, Denis, le fils de Florence, est de plus en plus dut avec sa mère car il veut partir à l’étranger avec son père. Viendra l’annonce d’une inspection, en guise de goutte d’eau qui fera déborder un vase de doutes et d’incertitudes dans une tranche de vie difficile.
Primaire, c’est l’histoire de ce que bon nombre d’enseignant-es investi-es dans leurs fonctions doivent vivre quotidiennement. Mais c’est aussi, magnifiquement restituée, la douleur de l’enfance, les blessures qui se taillent dans les êtres en construction parce que la parole de l’adulte est dure, parce que l’adulte est décevant, parce que c’est souvent douloureux, très, d’être un enfant dans ce monde-là.
Simple et fort à la fois.