Pour votre sécurité… 6/7
(…) C’est dans les escaliers que j’ai compris. Petit à petit. Trois minutes après trois minutes.
Ici pas de ticket. Seul l’insert électronique autorise l’accès aux couloirs. Si je suis ici c’est que je dois y être. Sinon c’est la ruée des surveillants sortis comme d’un placard mural à l’assaut du contrevenant.
Le train conduit au travail. J’assemble des automobiles. Blanches. Mon poste est filmé. Opération sur commandes numériques. J’actionne un robot qui monte plus vite qu’un humain. D’une façon plus fiable aussi. C’est écrit sur la fiche technique. Et lorsqu’il faillit on le remplace. Dans la journée qui suit sa panne.
On ne répare pas. On ôte le matériel défectueux pour mettre du neuf à la place. Comme on fera avec l’opérateur imparfait. Un jour. Je ne connais pas on.
Ceux de l’immeuble viennent avec les pièces et installent le nouveau robot. Ceux venus d’ailleurs prennent l’opérateur bancal pour en mettre un autre.
J’ai un œil électronique fiché dans le dos. Comme une bête collée à la peau. Il est loin mais je le sens. Entre mes épaules. Sur l’os dur dans le dos. Comme la porte vitrée de la cabine de douche. Ça fait froid derrière.
Les escaliers disent que ce sont les employés qui ont demandé l’installation des caméras. Parce qu’ils voulaient être certains que chacun tenait la même cadence de travail. Qu’aucun n’en ferait moins qu’un autre. Pour un dédommagement toujours minable.
Il faut vingt années de travail pour acheter une auto. Une de celles que je fabrique. Je ne sais pas ce que je ferai d’une auto. Je n’en vois pas l’utilité.
Plus de sept ans que je fabrique. Je ne sais pas si je serai encore là demain. Je reste tant que je ne défaille pas. Selon la caméra. Alors dans treize ans je n’imagine rien.
Je n’ai pas demandé à être surveillée. Chacun travaille comme il fait. L’effort pour la nation rend des demandes malades. (…)