Pour votre sécurité… 4/7
(…) L’information dit qu’on obtient un parfum subtil de lavande à partir de fleurs qui poussent sur un buisson. Je n’en ai jamais vu. Je n’en ai jamais senti.
Sans doute ces fleurs sont-elles blanches comme tout ce que je vois autour de moi : appartement murs vaisselle salle d’eau. Ou bleu comme ce que j’aperçois parfois dans le ciel. Mais pas gris comme tout ce qui signale le travail. Je n’imagine pas des fleurs employées. Ou peut-être vert pâle comme les vêtements que nous portons tous. Cette couleur qui donne un air maladif. Un air malsain. Le regard terne et les joues creuses.
Je vais dans le couloir sans fermer derrière. Je salue les voisins. Au moment où le point rouge des caméras sous tension se met à briller. Nous formons un rang. Pour descendre les escaliers. J’en ai dix volées. Qui sont trois minutes à fouler.
La descente comme la remontée sont les moments les plus importants de la journée. Avec la douche. Mais là je ne suis plus seule.
Ici j’ai appris à parler. Comme tous ceux qui osent. À parler sans articuler. Pour ne pas être repérée. Le bruit des pas couvrant celui des voix. Monocordes. Monotones.
Nous avons appris à traîner les pieds pour continuer à échanger. Comme une dégénérescence de l’espèce qui porterait une charge trop lourde depuis trop longtemps les pieds ne se soulèvent plus. Faiblesse musculaire d’une pensée agitée.
Personne ne peut dénoncer. Parce que personne n’est tracé à l’image. Personne ne sait qui parle. Nous regardons droit devant. Ou bien les pieds.
Nous avons trois minutes pour rencontrer. Pour faire circuler les messages. Les mots de vérité. Pas ceux qui sont diffusés. Trois minutes pour aimer aussi. Elle que j’ai vue dans les yeux. Trois minutes deux fois par jour. Trois heures dans un mois. Un jour et demi dans une année.
Aussi peu de temps pour tant de choses à dire. À faire. À imaginer. Tant de questions à poser. À exposer. Des réponses espérées. À chercher. À faire circuler. Dans un temps rétréci. Pour autant préservé. (…)