Place de la Bastille
Il est près de dix-sept heures et la nuit descend sur la place de la Bastille. Au pied de l’Opéra, sortie de métro, une bande de jeunes hirsutes. Piercings, chiens, dread-locks pour certains, une population de zonards majoritairement masculine. L’un d’eux éructe à n’en plus finir. Un autre est emmitouflé dans un sac de couchage, assis adossé au mur, le regard ailleurs. Ils s’invectivent, voix tendues, corps mécontents.
Plus loin sur l’esplanade, des cris fusent depuis les sièges de Maxx, un engin à frisson garanti installé dans la fête foraine. C’est le plus grand, le plus haut avec ses lumières clignotantes tapageuses. Ses deux bras géants transportent une douzaine de personnes installées dos-à-dos à chaque extrémité. Et Maxx tourne à trois cent soixante degrés en agitant son monde qui hurle et vomit peut-être. L’air est frais, ils doivent êtres gelés lorsque, immobilisés en hauteur, la moitié des passagers attendent que l’autre extrémité du bras se vide et se remplisse de nouveaux adeptes des sensations fortes, avant d’être ballottés à nouveau dans les airs. Vue imprenable sur Paris, du onzième arrondissement à l’infini…
À proximité, un duo est propulsé dans les airs. Deux énormes élastiques montés sur un chapiteau, une ossature métallique ronde en guise de cabine et voilà les deux protagonistes secoués comme une canette avant décapsulage. Monter, descendre, monter, descendre, monter, descendre. Et puis, assez rapidement, les élastiques se détendent et la cabine est abaissée pour être vidée, les deux passagers remplacés. Deux minutes de frisson dans la pénombre du soir naissant. Chez Maxx, il semble que le péril dure plus longtemps !
Sur les terrasses des brasseries de la place, les gens discutent, travaillent, attendent sous les chauffages qui, depuis quelques années, sont incontournables en hiver. Réchauffant la planète, ils permettent de maintenir le chiffre d’affaires et la surface commerciale, été comme hiver. Scintillement d’avant Noël, Paris ajuste son air hivernal et festif, le changement climatique pourra bien attendre.
Accoudée au bar, elle dit qu’elle n’en peut plus. Trente-huit kilos de chocolats ils ont emballés aujourd’hui. Et demain, elle ne sait pas à à quoi s’attendre encore. Trente-huit kilos, tu te rends compte elle dit. Elle parle fort, plaisante avec les serveurs et, si elle ne semblait pas si familière du lieu, on pourrait volontiers imaginer qu’elle cherche à se faire remarquer. Gouaille, paroles faussement provocatrices en une sorte d’esbroufe qui vise à surjouer pour se faire bien entendre. Pour être la seule à être écoutée peut-être… Elle et personne d’autre parce que, en plus de son demi qu’elle déguste au bar, elle veut qu’on lui prête attention. C’est pour cela qu’elle paie sa bière tous les jours ici après la débauche.