Paula Cassagne, appt 315 : 8/10
Épisode 8/10
Cela surprenait ses collègues qui enviaient ce qu’ils prenaient pour un don quand Paula n’avait de cesse de leur dire qu’ils étaient tout aussi capables qu’elle de ce type de lecture non verbale. Ils n’avaient qu’à essayer. De fait, certaines et certains d’entre eux osèrent enfin écouter leur flair, ce qui changea un tant soit peu les relations clients pour les améliorer, les rendre moins lourdes. Certains partageaient maintenant l’expérience qu’il était bien plus léger d’aborder une difficulté en l’ayant repérée plutôt qu’en ne l’ayant pas vue arriver.
À la suite de la découverte de son inconséquence alimentaire, Paula remplaça la viande par des légumes, en abondance. Elle eut quelque peine, aux premiers jours, à ne plus mastiquer avec acharnement les steaks bleus qu’elle mangeait deux fois par jour, par habitude, quand ce n’étaient pas des rôtis, tournedos, entrecôtes ou tout autre pièce de bœuf. Les légumes, tendres pour la plupart, demandaient beaucoup moins d’efforts et de mordant pour s’écraser sous l’action des mâchoires qui les broyaient et de la salive qui les amollissait. Ses cervicales se détendirent.
Pour pallier le manque initial de cette nouvelle cure — elle ressentait un manque de viande et avait eu envie, pendant un bon moment de mordre tout le monde, clients comme collègues — Paula s’imposa de faire quelques exercices. Elle suivit une méthode d’étirements qui venait d’Orient, de Chine précisément. Là-bas, tout le monde pratiquait cette gymnastique qui permettait au corps de conserver souplesse et dynamique, deux vertus dont la constitution de Paula s’était largement passée depuis des années.
Elle n’eut pas besoin de se revêtir d’un kimono ou de verser dans un orientalisme compulsif pour évaluer les effets de ce nouveau travail dans son être.
En très peu de temps, les cauchemars s’espacèrent. Ils finirent quasiment par disparaître, ne revenant troubler les nuits de Paula qu’aux moments où elle se laissait tenter par quelque plat carné, parfois incapable de résister à l’envie de raviver cet amour défunt de la viande d’élevage industriel. (…)