Nuit d’hiver 3/4
Épisode 3
Soudain il la repère. Comme la nuit dernière. Même scène, mêmes images, mêmes sensations. Seuls les sons diffèrent. Elle est là, à quelques pas de lui seulement. Il avance précautionneusement. Ne veut pas l’effrayer. Craint de la perdre sinon.
Il parle à voix basse et s’entend prononcer des mots de réconfort. Des mots d’excuse aussi. Des mots d’enfant pris en faute qui cherche à se faire pardonner. Des mots dont il ne sait d’où ils proviennent sortent de sa bouche et déversent leur flot vers elle, inerte. Yeux ronds grands ouverts.
Il s’agenouille. Reconnaît la sensation et le point de vue pareils à celui de son rêve. Avance lentement une main vers l’animal, caresse. Abaisse le faisceau de sa lampe pour ne pas l’aveugler. Aucun mouvement. Souffle absent. Elle est morte, il se dit. Il l’a tuée. Ç´en est fini. Il éteint la frontale. Se recueille.
Il pleure. Formule à nouveau des excuses. Une phrase de sacrement mortuaire dont il ne sait pourquoi il la connaît. Sent larmes et morve couler sur sa figure. Essuie machinalement d’un revers de sa manche. La douce sensation du coton sur sa figure l’emporte des années en arrière. Il se souvient. Ça n’était pas dans le rêve. Il s’entend pleurer fort dans la nuit. Un chagrin irrépressible. Sanglots mêlés à la complainte de sa voix. (…)
Assis dans l’herbe fraîche, une main sur le plumage de l’animal, il décide, promet, s’engage. Il revoit la minuscule chouette trouvée morte au pied de l’arbre dans la forêt refuge de son enfance pleine d’ennui. Son impuissance et sa tristesse d’alors devant ce corps inerte. L’oiseau froid porté dans ses mains précautionneuses. Il entend les mots durs de son père moqueur imbécile. Il pleure à nouveau. Revit la scène dans des soubresasuts de sanglots. Il s’oppose à son père comme il n’avait su le faire à l’époque. Il lui dit son chagrin, la nécessité de témoigner du respect à son fils plutôt que de railler son beau sentiment inacessible à l’adulte endurci qu’il était. Il parle sans retenue et sent l’émotion s’épancher, avant de s’apaiser.
Il frotte son nez sur sa manche. Éteint lentement l’épisode de mémoire. Revient au présent. Il observe la chouette allongée au sol. Les couleurs de son plumage. L’étrange sérénité qui se dégage de l’animal éteint. (…)