Nuit d’hiver 1/4
Nuit d’hiver est une nouvelle inédite en trois épisodes. Le premier aujourd’hui, les trois autres demain, après-demain et le jour suivant.
Le choc le surprend. Le tire de la monotonie d’une route qu’il connaît pour l’avoir empruntée plusieurs centaines de fois. Effarante routine qui le tient hors du paysage, de nuit comme de jour dorénavant. Les yeux rivés à l’écran de télévision qui occupe une place forte dans sa cabine. Des kilomètres aux paysages incrustés dans le fond de sa rétine relayés par des heures de cinéma cabine. Le monde évolue si lentement depuis le poste de pilotage qu’il faut bien s’occuper.
Fracas contre le pare-brise. Le cœur battant douloureusement fort sous ses côtes, il enfonce la pédale de frein. Débraye et descend les rapports aussi vite que possible. Il actionne le clignotant, commodo basculé vers le haut. Immobilise la bête lourde et docile charriant sa cargaison de légumes poussés à Almeria destinés au Royaume-Uni. Le tracteur soupire au moment où il ouvre sa portière. Il se jette hors de la cabine.
Nuit froide dans la campagne gersoise. Ciel étoilé, lune ronde au lointain. Circulation d’un vendredi soir proche des vacances d’hiver. Mélange de skieurs attirés par les pistes et leur goût pour les embouteillages, de chauffeurs routiers qui tentent de faire gagner du temps au temps avant la suspension de conduite du week-end, de commerciaux et autres déplacés du travail sur le terrain, de vacanciers qui s’offrent une fin de semaine de repos ou de découverte dans un ailleurs qui les changera du leur.
Négligeant la moindre consigne de sécurité, il se met en quête. Agitation, panique même. Sans les automobiles qui balaient le talus de leurs phares en mouvement, il ne voit rien. Pas rapides en retour vers le camion. Il tend les bras et s’accroche pour gravir le monstre jusqu’à la place du conducteur. Il s’assoit, bascule sur le côté et ouvre une première trappe. Farfouille nerveusement, précipitamment. Claque le couvercle et tend le bras plus loin. Nouvelle trappe. Ouverture. Fouille, lampe frontale. Il glisse le bandeau autour de sa tête, règle la hauteur du faisceau et s’extrait de la cabine, son lieu de vie au quotidien, sa chambre comme son salon, son bureau, sa cuisine même. (…)