Nue, sous la lune
C’est un roman court. Celui de la tentative d’une fuite. D’une mise à l’abri.
Une femme roule dans sa voiture pour mettre de la distance. Elle s’éloigne de l’homme qui la dévore à petit feu. Ils se sont rencontrés à travers la sculpture du bois. Elle est douée. Il les vampirise, elle et son talent.
« J’étais allée vers toi parce que dans notre art tu étais le plus grand. Je voulais tout abandonner de ce qui encombrait jusqu’alors ma vie pour ne plus me vouer qu’à la sculpture. Mon nom commençait à circuler, dans certains milieux on m’avait repérée. Je croyais en moi, j’avais l’arrogance d’être persuadée de mon talent. […] De toi, on disait que tu accueillais tous ceux qui le souhaitaient et aussi que tu étais le plus fascinant des maîtres. »
Elle, elle est partie avec ses « petites femmes », sa première série réalisée au contact du maître. Des personnages qui la rassurent et lui donnent du courage. Des femmes qui veillent sur elle transie de peur. Il lui a fallu beaucoup de courage pour s’extraire une fois encore des griffes de celui qui la maltraitre. Celui qui œuvre à la saper, à anéantir son estime d’elle-même, son talent, tout ce sur quoi elle a forgé confiance et force. Celui qui la prend comme il veut, sans tendresse. Qui l’ignore maintenant qu’elle est sous emprise. Au service. Esclave.
Dans son errance, elle ne sait plus vraiment où elle est ni où elle va. Elle s’endort épuisée sur le banc d’un village. Une vieille femme l’accueille. Lui offre le gîte et le couvert sans trop de mots. Mais l’ange gardien ne sera plus rien quand les rets du maître abusif serreront une fois de plus leur proie. Le téléphone demeurant un outil redoutable de coercition.
Alors elle rebrousse chemin. Se raconte leur histoire à l’endroit à l’envers. Elle sait bien qu’il abuse. Qu’il est violent. Qu’elle se plie à ses désirs comme à sa sculpture. Son talent ses projets à elle remisés pour servir les siens. Elle sait qu’elle invente des excuses. Qu’elle ment aux apprenti.es pour dissimuler la marque d’un coup. Qu’elle disparaît lentement de sa propre existence.
« Tu avais besoin, pour m’aimer, de me haïr. Tu m’épuisais. Je ne parvenais jamais à anticiper tes réactions, tu basculais sans prévenir du bon au mauvais, du mauvais au bon, je vivais dans la crainte de ce qui à tout moment pouvait arriver, je n’osais plus relâcher parce qu’alors, dans la surprise, le coup aurait fait trop mal. »
Page après page dans ce court roman, l’autrice nous enserre à notre tour dans les méandres de la conscience effractée. Dans les mécanismes qui font qu’une femme peut revenir chez son bourreau, en conscience de ce qu’il est, en ne croyant pas tout à fait que cette fois sera la bonne, qu’il aura compris, qu’il sera prêt à changer, qu’ils pourront s’aimer autrement que dans un rapport violent, celui de la domination d’un homme sur une femme, de la mise au service de cette femme pour le travail de cet homme, jusqu’à l’épuisement, de l’aliénation que favorisent l’ascendant, l’admiration d’un être pour un autre.
Elle rentre et le mépris est encore plus sourd cette fois-ci. Ni mots ni regards. Elle est plus invisible que jamais. Le pire peut survenir.
« À certains instants de grande lassitude, il arrive que je songe à l’ange. Je m’imagine la rejoignant, m’envolant vers son ciel. Puis le travail m’accapare, l’image se dilue, et j’oublie qu’en d’autres temps une vieille femme m’avait ouvert sa porte. »
Nue, sous la lune de Violaine Bérot a été réédité dans la collection poche des éditions Buchet-Chastel. Le roman est court. Sobre et puissant.