N’ayez pas peur madame !

N’ayez pas peur madame !

1er novembre. Tu te lèves. Il fait beau. T’es assez en forme après une semaine clouée par un grippe-rhume-covid-tu-ne-sais-pas-trop-quoi. Enfin le truc qui t’a séchée et fait moucher plus de 400 fois en moins de 8 jours [peut-être tu pourrais investir dans une papeterie, une usine de cellulose, vu ta consommation… mais tu te souviens que t’as pas un rond à investir…].

Toi t’as une envie ce matin-là, c’est d’aller marcher en forêt. Marcher vite, marcher fort pour respirer à pleins poumons. Te refaire les bronches parce qu’il t’en manque des bouts on dirait avec le mouchage intensif, la toux grasse, le virus du moment.

Tu prends ton petit déj. Un thé, deux thés. Tu mouches ton nez. Tu spraies de l’eau de mer dans tes fosses. Tu mouches. Tu fais tout ce qu’il faut pour récupérer l’usage serein de ta respiration, tes poumons, tes bronches. Avoir autre chose qu’une trompe à la place du pif au plus vite.

Tu t’équipes : pantalon de rando, double paire de chaussettes, veste de sport, gilet fluo parce que la chasse est ouverte et qu’il faut se partager l’espace avec des gars peu sûrs qui font des accidents chaque année, bâtons de marche. Tu enfiles de vieilles tennis increvables. Tu déposes tes chaussures de rando dans ta voiture, tu n’aimes pas conduire avec. Banane avec le minimum pour la circonstance et surtout des mouchoirs en papier parce que tes excrétions de fluides sont encore bien présentes.

Tu roules 5 km jusqu’à une forêt que tu connais bien. Lumière superbe, temps incroyablement doux pour la saison, couleurs chaudes de l’automne installé. Les oiseaux pépient, la forêt est vivante, ça s’annonce joyeux !

Chaussures ajustées, bâtons, tu empruntes le sentier et tu marches, tu marches, tu marches. Tu lèves tes jambes, tu passes les arbres morts. Tu avances vite, c’est l’énergie du moment. Après une dizaine de jours apathique, ton corps répond, t’as besoin de le défouler alors tu pousses la dynamique.

Premier virage. Tu progresses vers l’endroit depuis lequel rejoindre les vignes, avant de boucler à nouveau dans la forêt. Un son attire ton attention sur la gauche. Des feuilles mortes qu’on piétine. Tu stoppes, tu regardes, tu ne vois rien. Tu avances de quelques troncs, tu t’arrêtes, tu regardes : deux hommes, un en gilet fluo, l’autre panier en osier [ils cherchent des champignons, sûrement]. Ils t’ont vue t’arrêter. Celui en fluo : Oh n’ayez pas peur madame, on n’est pas des sangliers ! Du tac au tac : En fait j’ai pas peur, je voulais juste vérifier quel animal fourrageait sur ma gauche. Bonjour Messieurs ! [pourquoi t’aurais peur ? c’est quoi cette façon de parler qui met tout de suite du rapport mitigé entre les parties, de la menace, de la domination potentielle entre ceux qui cueillent les champignons et celle qui marche ? avoir peur de quoi dans la forêt en plein jour ?]

Tu tailles la route. Tu arpentes ce chemin vers les vignes. Te demandes par quelle boucle revenir dans la forêt, tu avances et tu choisis la suite de la balade, tu évites les flaques, la boue, fais quelques photos, la lumière est incroyable ce matin ! Tu marches à pleins poumons dans ce paysage que tu connais bien et c’est juste bon.

Coups de feu dans le décor. Loin de toi. Tu penses que ça vient de la vallée mais tu n’es pas pas certaine. C’est peut-être plus près. Tu marches fort. Tu respires vite. T’avances [de toute façon t’as ton gilet fluo. et puis tu tousses, tu tousses gras et fort… tu es donc visible et audible…].

Tu descends par un passage ravagé aux chenilles des camions extracteurs de bois. Attentive à tes pas pour ne pas déraper et te gaufrer dans la pente. Ça passe. Tu t’arrêtes et tu mouches. Tu mouches encore.

Tu poursuis ta boucle. T’entends que ça cause un peu plus loin et passé le virage trois hommes dans la perspective : les deux aux champignons, un autre carabine à l’épaule et son chien qui vient tranquillement vers toi. N’ayez pas peur madame ! te lance le chasseur [putain mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec la peur à la bouche ce matin !] Si j’avais peur, je ne serais pas seule en forêt d’accord ? Alors j’aimerais bien que vous arrêtiez de dire aux femmes n’ayez pas peur. On n’a pas besoin de ça dans les discussions en forêt donc c’est bon quoi ! Bonjour messieurs. Le chasseur : ben alors, ayez peur madame ! T’es vénère. Les deux aux champignons : Eh bê de toute façon, vous marchez tellement vite qu’on va pas vous suivre ! T’es vénère vénère : Et c’est tant mieux messieurs et bonne journée !

Tu traces [ils sont vraiment trop cons ! putain mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans la tête des mecs quand ils croisent une femme qu’ils ne connaissent pas ?].

5 réflexions sur « N’ayez pas peur madame ! »

  1. Merci pour ce texte édifiant. Au harcèlement de rue, il faudrait ajouter le harcèlement en forêt !
    Oui, ce « N’ayez pas peur » est une forme de menace.
    Pourquoi ne pas simplement dire : « Bonjour Madame » ?

  2. Peut-être avaient-ils peur de croiser une femme qui n’avait pas besoin d’un fusil et d’un chien pour aller en forêt.
    Peut-être se disaient-ils à eux-mêmes, de ne pas avoir peur dans une grande forêt où ils détruisaient le bien-être et la nourriture des animaux, lorsqu’ils seraient face aux sangliers, leur panier de champignons à la main.
    Ils avaient peur tout simplement qu’une femme les voit, tels qu’ils étaient….

  3. Je constate avec plaisir que tu renoues avec l écriture.
    Chez certains mecs, disons beaucoup – trop- c est pas la tête qui commande mais la quête.
    Alors forcément…

  4. Bonjour Hélène,
    Merci pour ton texte si vrai concernant ces rapports « désagréables  » (et le mot est léger) entre ces mâles et nous les femmes.
    J’espère que ta balade n’a quand même pas été trop pénible et que tu as pu laisser ton rhume au milieu des arbres …
    A bas les chasseurs et les cueilleurs de champignons !!!!
    Belle journée ensoleillée
    Marie

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