Mort en direct
Le nucléaire « civil » est éminemment dangereux et la stratégie guerrière à l’œuvre aujourd’hui l’a bien compris. Dans ce contexte géopolitique trouble, le parc français devient une menace grandissante.
En août 1945, peu de temps après avoir libéré la France de l’oppression nazie, les États-Unis décident de supprimer une partie de la population japonaise pour mettre fin au conflit qui oppose les deux pays. Truman donne l’ordre de bombarder Hiroshima et Nagasaki. Les bombes font immédiatement des milliers de morts parmi les civils, vraisemblablement deux cent dix mille avant 19501.
Grâce à l’aide de l’uranium et du plutonium dont les toutes premières bombes viennent d’être créées en secret — guerre contre l’Allemagne, puis finalement contre le Japon — le conflit prend fin. La vie des civils importe peu puisque les États-Unis viennent de montrer leur supériorité en armement de pointe à l’URSS, tout juste entrée en guerre avec le Japon.
La menace d’une guerre mondiale atomique s’installe dans les esprits. Pour autant, dès 1955, la France développe un parc nucléaire et devient le pays à la plus forte densité de centrales. On peut être fièr.es !
Nucléaire, non merci !
En mars 1975 au Danemark, Anne Lund crée le logo : nucléaire ? non merci ! Il sera décliné à travers la planète par les manifestant.es opposé.es au déploiement de cette énergie mortifère, et traduit en autant de langues que de parcs en projet ou en chantier.
Été 1976, je découvre la potentielle dangerosité de la radioactivité à travers l’album Radioactivité du groupe Kraftwerk. Le texte est partiellement en anglais, j’en saisis des bribes : la radioactivité est invisiblement mortelle, découverte par Madame Curie, elle est dans l’air pour tout le monde, elle est une menace pour l’avenir, elle agite le compteur Geiger.
La personne qui me fait découvrir cet album m’informe des dangers de l’énergie nucléaire. Le poison de ses déchets toxiques pendant des millénaires. J’entends que les humains jouent avec le feu. Le feu de l’uranium en fission. L’inconscience de la technoscience me défait : comment imaginer qu’un système développé pour tuer en temps de guerre voie les conséquences de son utilisation adoucies en temps de paix ? comment peut-on être à ce point dangereux pour les habitant.es de son propre pays ?
Superphénix : un manifestant tué
Le 31 juillet 1977, la France tue Vital Michalon venu manifester contre la centrale « nouvelle génération » dite Superphénix — l’EPR de l’époque… — à Creys-Malville. Une centaine de manifestant.es seront victimes de la répression policière. Superphénix et ses travaux pharaoniques financés par de l’argent public engloutiront un pognon de dingue avant d’être abandonnés. La superinvention tombe à l’eau, l’armée ne pourra pas accroître massivement son arsenal nucléaire2. Un homme est mort.
Printemps 1979 : l’accident survenu dans la centrale américaine de Three Mile Island confirme que le nucléaire n’est pas sans défaut. Il n’est pas totalement sûr contrairement à ce qui est prétendu pour le rendre admissible. Les études sanitaires rendront des données contradictoires, impossible donc d’évaluer les suites de cet accident à travers la population.
Et puis, les services secrets français coulent le navire Rainbow Warrior de Greenpeace3, juste avant qu’il n’appareille pour l’atoll de Mururoa afin d’empêcher l’État français de procéder à de nouveaux essais nucléaires. Nous sommes en juillet 1985. L’affaire révélée par des journalistes d’investigation fera un scandale d’État.
Accidents majeurs #2 et #3 : Tchernobyl Fukushima
Avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl entre en accident majeur. Plus de quarante mille victimes selon l’ONU dans un chiffrage que contestent de nombreuses ONG qui l’estiment minoré. L’Ukraine et sa population sont touchées de plein fouet. Le gouvernement français annonce que le nuage radioactif a contourné la France, nous sommes sauvé.es et pouvons continuer de faire comme si de rien n’était. Pour autant, le nombre de maladies liées aux dysfonctionnements de la thyroïde va exploser4. De même que le nombre d’ablations, de traitements substitutifs à vie…
Alors que les plaques tectoniques s’entrechoquent et créent un séisme puissant, le tsunami qui en résulte immerge la centrale nucléaire japonaise de Fukushima le 11 mars 2011. Comme dans un mauvais film dont les scénaristes se seraient donné peu de peine pour trouver une idée originale, la population japonaise reprend un lot de traumatisme et d’irradié.es. Dix-neuf mille mort.es sont déploré.es dans les jours qui suivent mais aucun.e en lien avec cet accident. Les sols et tout ce qui pourrait y pousser sont contaminés. Plus de cent soixante mille personnes vivant à proximité de la centrale sont déplacées afin de procéder à la « décontamination » du lieu — et de l’océan sans doute ! Le bilan sanitaire mondial de cette catastrophe reste inconnu à ce jour.
C’est le troisième accident majeur en trente-deux ans alors que l’énergie est prétendue sûre. Ça commence à faire beaucoup dans le compteur Geiger…
Et maintenant, que vais-je faire ?
Février 2022, alors que la filière nucléaire française a entamé la réduction de son parc6 conformément aux préconisations politiques7 — voire aux accords des COP successives —, le Président français fait campagne et annonce la construction de six de nouvelles centrales EPR : des petites choses de rien du tout, de toutes petites, mais vraiment minuscules ! Les travaux débuteraient en 20288, ce qui peut sembler un peu court en termes de calendrier pour pallier la crise des énergies fossiles aggravée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine.
Le 9 septembre 2022, il semble que l’équipe de mauvais scénaristes ayant déjà œuvré au Japon ait repris du service en Ukraine pour nous alerter sur le fait qu’une nouvelle menace d’accident nucléaire majeur est en cours9. Les récents bombardements de la ville d’Energodar ont eu pour conséquences des coupures d’électricité et d’eau. Or sans courant, la centrale nucléaire de Zaporijjia ne peut pas faire fonctionner le seul réacteur encore en action pour refroidir le combustible en fusion. C’est ballot. Les groupes électrogènes de secours peuvent tenir dix jours10…
À la suite des catastrophes successives et de la menace en cours, un simple bilan : produire de l’énergie nucléaire est éminemment dangereux. Parce que le combustible est hautement mortel de son extraction à sa fin supposée de vie — des milliers d’années après la sortie du four. Faut-il par ailleurs rappeler la dépendance de la France vis-à-vis des pays producteurs notamment d’uranium11 ? Le néocolonialisme que le pays exerce à l’autre bout du monde pour alimenter cette industrie12 ?
La centrale de Zaporiijia fait peser une menace effroyable sur la planète entière. Contrairement aux accidents précédents, le risque actuel est chroniqué en temps réel. Il résulte de la guerre et montre à quel point l’énergie nucléaire — développée pour tuer les populations civiles via des bombes militaires — ne parvient pas à pacifier son usage. Le nucléaire demeure mortel à travers la planète, la guerre l’a bien compris.
Alors, c’est devant nos yeux ébahis, Mesdames et Messieurs, que le risque du grand événement de la grande nouvelle catastrophe nucléaire majeure peut se concrétiser à tout instant. La mort nucléaire en direct par écran. Puis dans l’air, comme le dit Kraftwerk. Et bonne chance pour la suite !
La France menace la planète
Avec son premier parc nucléaire au monde, la France est une menace mondiale face à l’agitation géopolique, aux enjeux et zones d’influence en train de se redessiner. Dans ce contexte, le projet de déployer un nouvel arsenal en France semble très grave. Dangereux et excessif. Depuis les années 70, Greenpeace n’est pas la seule à le dénoncer13.
La renucléarisation ne peut être décidée par un homme qui, à lui seul, miserait sur une énergie favorisant la potentielle mort en direct des concitoyen.nes. Nucléaire ? non merci ! nous avons déjà donné et cela coûte pour des millénaires encore.
- https://www.dw.com/fr/il-y-a-75-ans-lenfer-nucl%C3%A9aire-%C3%A0-hiroshima-et-nagasaki/a-54458057 / https://www.dw.com/fr/il-y-a-75-ans-lenfer-nucl%C3%A9aire-%C3%A0-hiroshima-et-nagasaki/a-54458057
- https://reporterre.net/Il-y-a-quarante-ans-l-Etat-tuait-Vital-Michalon-jeune-antinucleaire
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_du_Rainbow_Warrior
- https://basta.media/Tchernobyl-les-malades-de-la-thyroide-veulent-en-finir-avec-l-omerta-en-France
- https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/accident-de-fukushima-daiichi
- https://www.ecologie.gouv.fr/installations-nucleaires-en-france
- https://www.publicsenat.fr/article/politique/edf-les-remontrances-publiques-d-emmanuel-macron-sont-scandaleuses-je-suis-sideree
- https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/nucleaire-emmanuel-macron-devoile-son-plan-pour-relancer-le-secteur_4954425.html
- https://www.lesoir.be/464522/article/2022-09-09/ukraine-la-centrale-nucleaire-de-zaporijia-mise-en-danger-par-une-coupure-totale
- https://encyclopedia.wikiext.com/fr/Centrale_nucl%C3%A9aire_de_Zaporijjia
- https://atlasocio.com/classements/economie/ressources-naturelles/classement-etats-par-production-uranium-monde.php
- https://www.sortirdunucleaire.org/Intro
- https://www.greenpeace.fr/sortir-du-nucleaire/