Montréal, voyage express
Après deux vols et douze heures entre terre et ciel — ou le contraire —, arrivée Outre-Atlantique. Montréal, aéroport Pierre-Elliot Trudeau. Hébétude aux paupières, langueur au corps pressurisé, chauffé puis refroidi, somnolent pendant quelques heures dans un fond sonore constamment bruyant, gavé de nourriture trop salée, trop sucrée, trop glacée, thé, eau, champagne, eau, thé. En plein après-midi d’ici, marcher dans les couloirs lumineux, en hésitant d’un pied sur l’autre, le roulis des airs fiché aux cellules. Équilibre instable, le sol comme amovible.
Il est moins six heures. L’heure de se coucher dans la vie d’avant, celle de poursuivre sa journée dans la vie de dorénavant.
Magnifique sourire d’un douanier plein d’humour qui, de ses intonations d’ici, raconte quelque blague : écoute, tentative de décodage, puis, à force d’une extrême concentration, le sens porte au cerveau. Rire en partage, tampon au passeport, passage libre.
Bagages en une danse hypnotique sur le tapis circulaire. Douze heures plus tard, d’un continent à l’autre, une nouvelle épopée commence. Et, tout au long de cette incessante traversée, un aéroport d’un grand calme.
Hall d’arrivée, machines, dollars, ticket de transport, bus sept cent quarante sept — une trouvaille ! — en route vers le centre ville.
Arc-en-ciel lumineux accroché aux nuages qui bordent l’autoroute. Le ciel est sombre, la pluie guette, mais la couronne de couleurs tient bon qui retient l’ondée et ravit le regard.
Montréal approche. Les panneaux verts le disent. La route luit de pluie. Les voitures et les bus circulent à bonne allure. Essuie-glaces en mouvement aux pare-brise. Remous du bus qui tremble sur les irrégularités de la chaussée. Un nouveau mouvement à inscrire au régulateur du corps transporté.
Montréal s’assortit au ciel de cette journée de printemps. Buildings aux fenêtres vitrées dans lesquelles le ciel se ressemble parfaitement. Maisons et immeubles gris de pied en cap. L’ensemble est sombre, mais reconnaissable. Boulevard René-Lévesque, le bus file, file, file. Le moment de descendre approche. Mémoire des codes d’ici : traverser dans les clous, quand l’indicateur lumineux l’autorise, se fondre dans le mouvement, trouver sa route ou la demander, éviter de répondre « merci » au « bienvenue » qui dit « de rien ».
Près du Centre des congrès, vent frais dans le cou. La fatigue n’y résiste pas. Contracture au corps pour empêcher le passage du courant d’air froid. Et cette nonchalance décalée qui fait que les mots peinent à trouver leur sens quand il faut échanger, poser une question, entendre une réponse, se souvenir du langage pratique et usuel quand on voudrait un lit, une couette et s’endormir jusqu’au lendemain sans compter.
Pas le moment encore, cela viendra, patience.
Quartier du vieux Montréal, vent du Saint-Laurent, cris des mouettes et voitures lentes dans les rues étroites. Monter, descendre, rouler les valises et s’efforcer, encore un peu, avant de remiser les affaires pour endosser le rythme local. L’auberge approche, l’auberge est là. Porte tirée, volées d’escaliers qui semblent infranchissables. Mobile d’origami, guirlandes de « pièces » de papier recyclé coloré, tableaux aux murs. Dandinements et escalade, bras étirés par les bagages à l’immense poids après cette journée. Bonjour !
Formules d’usage, vérification des données, puis clé de la chambre rouge. Un étage à franchir encore. Palier, porte, serrure, clé à tourner, porte à pousser : décor superbe, lieu idéalement accueillant. Rouler les bagages et ne plus y toucher. Fermer la porte derrière soi et se dire qu’on sera bien, là, pendant les trois nuits à venir.
Auparavant, quitter la tentation du lit, sortir épuiser sa fatigue dans les ruelles, marcher quelques heures le nez en l’air et trouver un endroit où dîner. Ensuite seulement, il sera temps de dormir. Bienvenue en terres québécoises !