Monique R. 4/5
J’ai été la victime consentante. On m’a contrainte et je n’ai pas échappé. Je n’ai pas accepté mais je n’ai pas désobéi. Je me suis laissé faire en me jurant de ne jamais oublier. Je me suis vidée mais je n’ai pas excusé.
Longtemps j’ai cherché à savoir. À comprendre la raison de ma docilité. À voir à travers moi les ficelles qu’on avait manipulées. Pour en arriver à ce que je ne voulais pas. Pour me faire faire ce que j’avais prévu différemment. Ce que j’avais imaginé tout simplement. Certainement trop simplement. Alors que la complication est loyale pour certains.
J’ai été celle qu’on plaignait en silence. Parce que ce qu’elle vivait était vraiment atroce. Parce que ce qu’elle cachait était impossible à surmonter. Terrible à assumer. Trop lourd à porter sereinement. En tout cas pour celles et ceux qui la voyaient se recroqueviller parfois sur son corps. Quitter la pièce commune pour se réfugier dans le sombre et pleurer. Partir loin de la maison et courir dans le bois jusqu’à être assez loin pour hurler. Hurler comme une louve à la nuit. Grogner comme une chienne malade. Feuler comme une tigresse blessée.
Chacun guettant secrètement le moment où je sombrerais dans la démence programmée. Celle que j’appelais souvent. Sans la rencontrer.
Le dérèglement intempestif. Pour le soulagement de l’ensemble. Pour enfin ne plus avoir à partager la lourdeur de ce qui était su. De ce qui était tu. Rendant chacun complice du mensonge propagé. Des connivences et des arrangements.
Je n’ai pas encore rompu. Sans cesse à plier. À me fissurer. Je tiens toujours bon malgré le poids que le temps ajoute à la charge. Malgré tout ce que m’a coûté de renforcer la moindre de mes faiblesses. De surenchérir alors que j’étais au bout de l’annonce. Seule à miser sans plus rien dans les poches.
Ressassant des années durant l’antienne de l’absence.
Il apparaît enfin que je doive baisser la garde. Que je n’aie plus rien à cacher. Plus personne à protéger. Parce qu’enfin tout le monde sait. Parce que ceux qui étaient tenus hors du secret l’ont vu et accepté. Tellement plus simplement que tout ce que j’avais pu imaginer. Avec tant de sobriété que je regrette encore plus le temps passé à cacher. À blinder et verrouiller. À mentir et à tenir au plus près. (…)