Monique R. 2/5
J’ai passé tout ce temps à jouer une vie que je ne vivais pas. Que je me refusais parce que je me mentais. Parce que je leur mentais. C’était parfois facile.
Parce que je suis comédienne mon métier est entré dans ma vie privée. Sans technicien ni metteur en scène. Sans décor ni éclairage précis. J’ai joué sans filet. En improvisation permanente. Devant un public non averti. Ma vie comme une tragédie antique. Sur scène tous les jours dans mon propre foyer. J’ai joué le sacrifice. J’ai donné mon corps et mon âme. J’ai offert à des dieux virulents le sang des miens. Sans jamais trouver l’apaisement.
C’était parfois bien plus compliqué.
Parce que des crises folles me prenaient sans prévenir. Sans aucun signe précurseur. Elles déboulaient comme on dévale une pente. Roulée en boule sur le côté. À se laisser glisser jusqu’au bas. En espérant qu’un précipice immense croiserait la descente. Un que je n’aurais ni vu ni soupçonné. Impossible à éviter. Et qui engloutirait tout. D’un coup. Comme un monstre ouvre la gueule et vous avale sans mâcher. Laissant glisser indéfiniment dans les méandres de son intérieur. Dans le noir total de ses voies digestives.
À tourner et tourner encore sur moi-même. Jusqu’à en avoir la nausée. Jusqu’à m’arrêter au bas de la piste.
Et puis me relever parce que le gouffre n’était pas venu. Tituber comme un soir d’ivresse. Me tenir et continuer de me retenir. Jusqu’à partir vomir mon malaise. Avec force et affliction. Nœuds et contractures.
Pendant plus de quarante ans j’ai partagé une connivence malsaine. J’ai subi une sorte de compassion. Pourtant rien n’était à répartir.
C’est mon corps et mon esprit qui portaient. Seuls. Seuls et moi seule. Les regards appuyés ne faisant qu’ouvrir un peu plus la blessure jamais refermée. La plaie qu’on avait tenté de sécher. Comme on passe un mouchoir sur des yeux embués. Prêts à fondre en larmes. Les blessant de la fibre raide frottée d’un geste trop pressé. (…)