Les Salauds / Les Exigences
Les Salauds de Claire Denis est, me semble-t-il, un film raté. Au titre très fort, l’image n’apporte que caricatures et scènes outrées.
Le drame se déroule entre un homme présenté comme le sauveur prêt à assurer la sortie de crise économique de la sœur veuve d’un suicidé qui était aux abois — on comprendra qu’il a fait des saloperies et mal joué la direction de l’entreprise familiale de chaussures héritée ; le retour à la vie de la nièce aux veines tailladées — on comprendra qu’elle a joué un rôle insupportable avec celui qui a injecté de l’argent dans l’entreprise familiale et, probablement, demandé puis obtenu compensation en se payant sur la bête ; l’amour de la maîtresse malmenée, voire méprisée, par le salaud précédemment cité…
Dès la première scène, la caricature opère : pluie forte, ambiance noire, suicide. Les portraits de femmes sont simplement crispants : entre la maîtresse soumise et indolente, la sœur caractérielle insupportable. Pas mieux du côté des hommes : entre le sauveur aveuglé par l’action, l’homme d’affaires ordurier.
Certains y verront un film noir. J’y trouve un manque de lumière à travers des images sombres, des ellipses — trop d’ellipses —, trop de musique, qui viennent affadir le propos et lui évitent d’entrer au cœur d’un sujet dont on se demande, au fond, s’il est arrivé comme il flotte dans l’air du temps un goût pour la mise en scène du « salaud ».
Là où Claire Denis échoue, Olivia Profizi, avec Les Exigences, paru chez Actes Sud, réussit remarquablement.
Deux personnages se racontent, suggèrent leurs actes, disent l’innommable. L’une est en hôpital psychiatrique à la suite de sa tentative de suicide. L’autre est celui par qui « tout » est arrivé, un homme qui a profité de son ascendant pour conduire une jeune femme sur la voie d’une sexualité faite de soumission et de violence.
Elle s’observe, se joue des entretiens avec le psy, ne dit pas tout — peut-elle seulement en supporter le souvenir ? Il tente de se dédouaner, de nier sa responsabilité, ignore son cynisme et la douleur qui le meut.
À la sobriété de l’écriture s’oppose le malaise des mots. Chacun tourné vers soi, les deux personnages ne se rencontrent plus — se sont-ils jamais rencontrés ?
Dans ce qu’ils évoquent, un fossé de non-dits, de croyances, d’incompréhensions, de jeux de rôles inconscients et ravageurs. Toute l’ordure de celui qui se prend pour un initiateur, un guide. Toute la violence de la domination et de son acceptation.
Un premier roman fort, parfaitement maîtrisé.
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