Les Arpenteurs du monde
En rangeant Esprit d’hiver dans ma bibliothèque tout en me demandant s’il était bien raisonnable de conserver un tel ouvrage — au prochain déménagement, je sais ce qui adviendra de ce Kasischke-là… — j’ai le bonheur de retrouver un roman formidable de Daniel Kehlmann.
Les Arpenteurs du monde est un livre fleuve. Une de ces épopées qui vous tient de la première à la dernière page — celle qui vous fait regretter que la fin soit déjà là, alors que près de trois cents pages se sont écoulées. Je me souviens avoir été happée, embarquée, étonnée, séduite par les deux protagonistes de ce roman ubuesque. Deux êtres cérébraux. Tellement obsédés par leur raison et leur intelligence envahissantes qu’ils en oublièrent d’être humains, tout simplement.
On croise ici Alexandre von Humboldt, explorateur sans limites ne vivant que pour la découverte, au péril de sa vie, de sa descendance, des convenances. Un homme possédé par sa frénésie de l’expérience, riche d’un savoir intarissable.
Carl Friedrich Gauss, mathématicien, astronome, croise le chemin du savant explorateur. Bien que marié, Gauss n’est guère plus sociable qu’Humboldt. Les deux hommes jouent de leurs cerveaux, se querellent, avancent de concert ou manquent de compréhension. Aux prises avec leurs obsessions, ils sont drôles, touchants et parfois pathétiques.
Qu’on s’intéresse ou pas à la science comme aux mathématiques, le roman de Daniel Kehlmann est jubilatoire tant les fresques qu’il livre de ces deux savants sont à la fois réalistes, loufoques et intrigantes. Dans une langue maîtrisée parfaitement restituée dans la traduction de l’allemand de Juliette Aubert.
Quelques années plus tôt, un livre d’un auteur néerlandais m’a fait le même effet : celui de me happer et de me soustraire au monde le temps d’en dévorer les quelque mille deux cents pages. Il s’agit de La Découverte du ciel, d’Harry Mulisch. Trois extraits dans les pages du Journal de la moderne tyrannie, mon précédent blog.