L’Égaré de Lisbonne
Au début du seizième siècle, maître Joao Faras, médecin et chirurgien du roi de Portugal, également cosmographe, prend le large à bord du Bate-Cabebo, l’une des embarcations d’une expédition lancée depuis Lisbonne à la conquête de nouveaux territoires à annexer au royaume.
Dans la rage du vent océan, on assiste dès les premières pages du roman à la disparition de la caravelle menée par Bartolomeu Dias, célèbre navigateur explorateur du Brésil qui périt au large du cap de Bonne-Espérance. Atteint du mal de mer, Faras vomit comme il respire et devient la risée d’un équipage rustaud, particulièrement malmené par une tempête virulente. Sous les yeux du médecin cosmographe, des hommes passent par dessus bord et disparaissent dans les vagues immenses. Voiles déchirées, bateau abîmé, les vivres viennent à manquer et la faim met l’équipage sous tension. Le ventre vide, Faras trace des cartes, ajoute des îles, doute de la direction empruntée par le capitaine, pourtant conseillé par son géographe officiel.
À la manière d’un journal de bord écrit à la première personne, le médecin raconte l’errance sur les océans, le difficile huis clos entre hommes malades ou affamés, la perte de trois de ses dents…
« Je ne trouvais pas le sommeil. Quelle alternative terrible ! se nourrir de son prochain ou mourir : peut-être m’étais-je condamné en faisant la sourde oreille aux allusions du Galicien. Poussé par la faim, peut-être même qu’un Gonçalo Sanches aurait tué un être humain pour le manger. Cette idée me glaçait. Pour vivre, l’homme était-il prêt à tous les avilissements, à toutes les régressions ? »
Après des jours sans apercevoir la moindre bande de terre, les survivants trouveront de quoi remplir les réserves. Peuples accueillants puis hostiles, les attaques indigènes redoublent et c’est un médecin traumatisé qui rentrera à Lisbonne après quinze mois et demi d’errance en mer.
Organisé en trois parties — la mer, la carte, la terre —, complété de notes historiques et de la reproduction d’une ancienne carte maritime en couleur insérée en deuxième et troisième de couverture, le livre se poursuit sur la terre ferme.
Épuisé par les jours difficiles vécus en mer, Joao Faras n’est plus que l’ombre de lui-même. Il passe ses journées à la taverne ou il dilapide le peu d’argent gagné de ses consultations. Il se sait piètre médecin, doute de tout, vit dans la confusion, tandis que sa femme s’inquiète et le lui signifie, tient le foyer et élève seule leurs deux filles. Mu par la rancœur, car il a été mis au ban de la cour à son retour d’expédition, Faras fomente une vengeance qui, pense-t-il, apportera suffisamment d’argent pour lui laisser le temps de voir venir.
L’auteur nous embarque dans les quartiers pauvres, chez les prostituées, dans des cabanes où l’on bat les femmes, où les humains vivent sans égards. De sombres plans en rebondissements, L’Égaré de Lisbonne parcourt sept années au fil desquelles apparaissent de grandes figures de la conquête des océans, des questions politiques et religieuses d’une époque marquée par la Reconquête espagnole, un tremblement de terre lisboète et ses dramatiques conséquences sanitaires. Et Joao Faras, égaré dans une vie qui ne semble plus tout à fait à sa mesure, spectateur d’un monde brutal, vil, qui n’a de cesse de lui faire regretter la sensualité du corps de Camapua…
« La mer rendait à Lisbonne des bateaux éreintés, dégueulait sur la terre des hommes à demi-morts. La terre tremblait, faisant dégringoler les cheminées, écrouler parfois un mur sur un homme. Restait-il une issue par laquelle s’enfuir ? »
L’Égaré de Lisbonne est le deuxième roman de Bruno d’Halluin paru aux éditions Gaïa.