Le règne du vivant
Le Règne du vivant est un roman d’Alice Ferney — une auteure autour de laquelle je tourne depuis quelque temps ; avec cet ouvrage, j’entre dans son œuvre.
« Aux Galapagos, il y avait un siècle et demi de cela, le jeune Charles Darwin avait observé la diversité des espèces et collecté les spécimens d’oiseaux qui, près de vingt ans plus tard, seraient la source de ses découvertes. Notre expérience serait radicalement différente. Je pensais qu’en un siècle, nous avions détruit ce monde-là. La Terre était consumée. »
Très vite, le ton est posé. Le Règne du vivant est un livre militant, parce qu’il raconte l’engagement au secours de baleines chassées illégalement dans les eaux de l’Arctique. Dans des territoires tellement éloignés de l’agitation des villes, où des bateaux sans foi ni loi prélèvent dans l’océan de quoi rentabiliser leur sortie. Et peu importent les réglementations internationales, la protection des espèces menacées. Le profit est sans âme ni cœur : la rentabilité c’est maintenant !
Magnus Wallace est le capitaine de l’Arrowhead, un brise-glace qu’il pilote vers les sanctuaires réservés au mammifères marins les plus anciens. Militant combatif, il fédère autour de lui des équipes de salarié-es et de bénévoles impliquées dans la sauvegarde des espèces devenues rares, du fait des excès d’humains avides, cupides, ancrés dans des pratiques ancestrales qu’ils n’interrogent pas.
Gerald Asmussen embarque en tant que caméraman. Magnus l’a sollicité pour documenter la septième campagne et montrer le visage des personnes mobilisées avec lui.
Gérald découvre une brute de travail, tantôt taciturne tantôt explosif. Un homme déterminé, prêt à foncer dans les navires pilleurs afin de leur donner la leçon. Les eaux internationales manquent de réglementation, personne ne se préoccupe des baleines ou d’autres espèces tellement pêchées qu’elles risquent de disparaître des océans. Lui oui.
« Nous étions la génération qui avait rompu le pacte de la domestication. L’élevage intensif, les abattoirs industriels, tout ce qui accompagnait la surpopulation de la planète et la suralimentation des pays riches était une déshumanisation des pratiques, une désanimalisation des bêtes. Nous avions détruit le lien ancestral qui unissait les animaux aux hommes et nous avions réduit le domaine sauvage qui leur était laissé en partage. »
À bord, biologistes, océanologues, ethnologue, bénévoles aux parcours divers. Sur terre, un avocat spécialisé pour les coups durs. Il y en aura. Et la nécessité d’utiliser les technologies numériques pour relayer, informer, choquer avec des images d’eau rougie du sang des baleines, attaquées dans leur espace pourtant réservé.
« Si on ne les pousse pas au cul, [les représentants des nations du monde] ne feront rien. Ils l’ont prouvé depuis cinquante ans. Leurs réunions sont devenues une fin en soi. On y discute et se congratule, on en profite pour voyager, mais il n’en sort jamais rien. C’est grave. Je crois dans la force de quelques individus inspirés qui résistent au mouvement d’ensemble. »
Le moteur de Magnus c’est de se sentir utile, indispensable même dans les missions qu’il mène. Et l’homme sait convaincre la presse qui pourtant malmené son image. La stratégie de l’époque est le dénigrement, la rumeur, le mensonge. Il faut discréditer, aller contre. Lorsque la vérité sera rétablie, il sera souvent trop tard. Le mal sera fait et la réputation comme la nécessité des missions de l’Arrowhead seront entachées, devenues suspectes.
Tout au long des pages d’Alice Ferney, on pense bien sûr au Sea Shepherd et son capitaine Paul Watson.
Pour autant, Le Règne animal est un texte inégal. L’auteure se répète, l’écriture est parfois tenue et belle, parfois pauvre, voire banale. Les ficelles narratives se voient comme le nez au milieu du visage — l’indispensable histoire d’amour qui, à peine décrite, disparait quasiment, des pages documentaires didactiques, le drame qui se sent et ne manquera pas de survenir… C’est dommage car le sujet est fort. Il aurait, à mon sens, mérité un soutien encore plus actif.
« La vérité, dit encore Magnus, c’est que les habitudes et les mentalités, eh bien ça se modifie. On peut agir sur ce que croient les gens. On peut leur faire découvrir que ce qu’ils jugent normal, légitime ou naturel, ne l’est pas. »