Le Bal des folles
Victoria Mas publie un premier roman qui se déroule à la Pitié-Salpétrière, un hôpital dont il est beaucoup question en ces temps de confinement. Pour autant, le roman se déroule dans la deuxième partie du 19e siècle, à l’époque où l’on y enferme de nombreuses femmes dites hystériques.
Placées sous le regard du neurologue Charcot, les femmes sont internées pour être prises en charge vers leur guérison. À cette époque, un père ou un mari, une belle-mère ou un parent peut faire enfermer celle qui est un peu trop libre dans son esprit, celle qui ne tient pas sa place de femme soumise ou se rebelle d’une quelconque manière.
L’autrice met en scène Eugénie, deuxième née après un garçon dans une famille bourgeoise parisienne. La grand-mère paternelle vit sur place, ainsi que les domestiques. Le père n’a pas d’égards pour sa fille dont la destinée sera d’épouser un bon parti ce qui permettra alors au père de la prendre enfin en considération, du fait de la qualité du parti s’entend. Le fils est le seul à avoir voix au chapitre et, comme dans toute famille bourgeoise, pas d’expression d’émotion ou de sentiments, pas de revendication ou quelque contestation. L’ordre établi doit être respecté, point à la ligne.
Or Eugénie est lettrée, critique et prise de visions. Elle voit des morts parmi lesquels son grand-père et, plus tard, la sœur d’une infirmière de l’hôpital où elle sera enfermée contre son gré. Elle fait l’erreur de confier ses visions à sa grand-mère tout en évoquant un ouvrage ésotérique qu’elle a pu se procurer, en lien avec les mondes parallèles qu’elle visite. Le livre lui confirme qu’elle n’est ni folle ni seule à être reliée.
Mais la grand-mère ne tolère pas que le nom familial soit terni par sa petite-fille et trahit le secret qui lui a été confié. Le père, furieux d’avoir une fille folle la conduit à la Pitié-Salpetrière, avec la complicité du frère totalement soumis à l’autorité paternelle.
Eugénie trouve sa place parmi celles qui ont été placée dans l’hôpital pour divers motifs : une ancienne prostituée a poussé son mari dans la Seine, une jeune femme est prise de convulsions épileptiques, bon nombre ont été violées ou agressées et en ont gardé des traumatismes… Dans l’hôpital, les expérimentations vont bon train.
« Les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d’hystérie ; l’introduction d’un fer chaud dans le vagin et l’utérus réduisait les symptômes cliniques ; les psychotropes — nitrite d’amyle, éther, chloroforme — calmaient les nerfs des filles ; l’application de métaux divers — zinc et aimants — sur les membres paralysés avaient de réels effets bénéfiques. Et avec l’arrivée de Charcot au milieu du siècle, la pratique de l’hypnose devint la nouvelle tendance médicale. »
À travers une écriture simple — qui aurait mérité un accompagnement éditorial pour se débarrasser de sa surabondance d’adjectifs et d’adverbes, de la présence de clichés, et gagner en style ! — l’autrice relate la violence de l’univers hospitalier, des « leçons » auxquelles certaines des internées sont soumises devant une salle emplie d’hommes venu assister aux prodiges du docteurs Charcot. Elle met en scène l’évasion d’Eugénie le jour du bal annuel auquel est convié l’intelligentsia parisienne et pour lequel les internées se préparent des semaines à l’avance dans une inquiétante frénésie.
Le Bal des folles est paru aux éditions Albin Michel. Il a obtenu le prix Renaudot des lycéens et le prix Stanislas 2019. Et clin d’œil à Françoise TG qui, je crois, avait parlé de cet ouvrage un dimanche d’atelier.