La vie à l’horizontale
Ils sont jeunes. Indolents. Vivent une période où les journées sont meilleures à l’horizontale. Debout demande trop d’effort. Difficile, douloureux même, de mettre des os, de la chair dans la morphologie ; de l’intelligence et de l’expérience dans la tête. Grandir.
Allongé, corps moins lourd, risques amoindris. Pas trop vite.
Ils se parlent mal et trouvent ça normal. Ni vulgaire ni violent, disent-ils. Vraiment ? S’envoyer des piques, du venin, de l’acide ne les dérange pas. Partie prenante du processus. Même pas mal. Normalité d’une période d’arrachement à soi. Quitter l’enfance et l’insouciance de journées prises en charge par la parentèle. Se pousser vers l’inconnue de cet âge adulte qui effraie. Prendre des responsabilités. Assumer ses actes, ses choix. Se prendre en charge… Trop nul !
Ils sont étranges ainsi alités comme des patients fatigués. Personnes âgées aux corps devenus impossibles à porter. Ils n’ont pas encore vieilli mais anticipent. Aucune ride au front quand bien même ils serrent leur griffe de lion pour se donner un genre. Trop tôt. Ils ne sont pas vieux mais ont déjà tant vécu : multiplication de la taille du squelette, du poids du corps, du savoir, des connexions neuronales et, bien sûr, hormonales. Ah, les hormones ! Pulsions agressives. Poil au menton. Respect parfois encore dû à la mère. Quant au père…
Sueur que le plus fort des déodorants synthétiques peine quelquefois à masquer. Pour peu qu’ils transpirent une bière, c’est fichu. Ils pavanent de canapé en fauteuil. De lit en lit. Étirés de tout leur long pour que rien ne pèse. Ne leur pèse. Tandis qu’ils se font particulièrement lourds par ailleurs.
Ogres insatisfaits impossibles à rassasier, ils négocient tout. Systématiquement ce qui va dans leur sens. Unique le sens. Ils gloutonnent ce qui gît dans l’espace frais du réfrigérateur. Qu’importe l’heure pourvu que ça cale. Un instant du moins. Tiroir à biscuits. Placard à pâtes et autres denrées susceptibles d’apaiser le corps instable dans son mouvement de pousse vers les sommets. Tout y passe. Râlent si les provisions viennent à manquer. Ne prennent pas l’initiative de courser la marchandise alimentaire. Vie à l’horizontale déjà si difficile, alors…
Déséquilibre intérieur. Avidité permanente. Angoisse existentielle.
Devenir l’un ou l’autre des parents terrorise. Carrément trop nul. Devenir soi annihile. Qui suis-je ? Devenir le même que son meilleur pote devient une piste. Fusion désirable. Crise identitaire pas même repue dans l’absorption de nourriture.
Rien ne va. Au moral comme au porté. Image de soi déplorable. Chance inouïe de ne pas être trop défiguré par les pousses abjectes de la peau via ses pores exsudant. Souvent navrantes.
Velléité de tout contrôler, de tout dominer. Se penser parvenu sans avoir pris la peine de démarrer, ni même d’avoir cheminé ou encore seulement vécu. Être, du haut de son adolescence prémâchée, Dieu tout puissant, et qu’importent les autres.
Soi-même, ses angoisses et ses complexes, sa faim permanente et son irrépressible envie de régresser, c’est déjà tellement ! Fatigant, tout ça, au point de s’allonger pour mieux analyser sa propre situation… Les yeux perdus au plafond quand ils ne sont pas rivés à l’écran. Aux écrans.
La vie à l’horizontale, il n’y a que ça qui vaille !
One thought on “La vie à l’horizontale”
C’est tellement ça…