La succession
Paul Katrakilis a grandi à Toulouse dans une famille où la médecine se transmet de père en fils. Il devient donc médecin mais n’ouvre pas de cabinet à la fin de ses études. Ce qui passionne Paul, c’est la pelote basque, la cesta punta qui se pratique dans un jaï-alaï. Entraîné au pays Basque, Paul devient professionnel aux États-Unis, en Floride, après qu’un recruteur lui donne sa chance.
« En Floride, et surtout au Jaï-alaï de Miami, j’ai fait partie de ce petit cercle de professionnels de la pelote basque rétribués à l’année pour danser sur les murs, jouer du grand gant, fendre l’air avec une cesta punta et propulser des balles de buis cousues de peau de chèvre à 300 km/h sur le plus grand fronton du monde – un Vatican peuplé de cent papes aux mains d’osier – frôlé par les avions de l’aéroport de Miami International, et fréquenté alors par ce qui se faisait de mieux dans une ville qui, il faut bien le reconnaître, n’avait jamais été trop regardante sur la fabrique de son aristocratie. »
Dans son roman La Succession, Jean-Paul Dubois livre les secrets d’un monde singulier dans lequel les joueurs de pelote basque sont autant de chevaux de course sur lesquels les paris vont bon train. Au coeur d’une économie florissante, les pelotari vivent des conditions de travail difficiles, peu de reconnaissance de leur talent, et des salaires très inférieurs aux profits qu’ils génèrent. Un conflit social mettra fin à la carrière de Paul, après quatre ans d’un bonheur intense.
Paul est heureux parce qu’il joue. La cesta punta contribue à son équilibre. Il mène une vie simple, prend régulièrement la mer sur son petit voilier, affronte le tangage qui le rend systématiquement malade. Il fréquente une femme ou une autre, a quelques rares amis parmi ses collègues de jeu. Et l’on sent bien que cet homme est comme suspendu au-dessus d’une vie qu’il peine à investir.
La mort suicidaire de son père contraint Paul à revenir à Toulouse pour gérer la succession. L’histoire familiale est tenace car chez les Katrakilis, en plus d’être médecin, on se suicide de père en fils. Bien que d’un naturel taciturne, Paul se questionne, rencontre l’ami de son père et découvre des facettes ignorées de la personnalité de celui à qui il a obstinément refusé de ressembler.
Déchiré entre deux vies, entre deux continents et deux territoires, Paul devient serveur dans un restaurant de Miami. Il s’éprend de la patrone avec laquelle il vivra une brève histoire d’amour. Il rentrera à Toulouse définitivement marqué par cette relation amoureuse devenue impossible.
Revenir dans la maison de l’enfance, visiter les pièces des morts, tenter de vivre à Toulouse comme son père, c’est-à-dire en reprenant son cabinet et sa clientèle plonge Paul dans la succession Katrakilis, l’héritage d’un fardeau fatidique.
« Je mesurai combien les évènements pouvaient, en quelques semaines, transformer un homme, refabriquer son mental avec des envies, des désirs et des besoins radicalement différents. »
Aux prises de son passé ressassé, de non-dits familiaux encombrants, Paul se démène dix ans en tant que médecin. Il reprend des usages de son père qu’il prolonge avec autant de sérieux. Mais son amour lui manque, la cesta punta aussi. À Toulouse, il ne fréquente personne, et même s’il se retourne en Floride pour rendre visite à l’ami pelotari devenu militant syndicaliste avant, lui aussi, de changer de vie, même s’il retrouve la femme aimée atteinte d’une maladie incurable, le compte n’y est pas. Paul glisse lentement sur le carreau de sa vie et perd la raison.
C’est en digne héritier qu’il achèvera son parcours.
« Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à le tenir pour la porte d’entrée d’un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d’humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d’une âme. La médecine ne traitait pas ce genre de questions. Pour elle, l’ongle incarné primait toujours sur l’herméneutique. Comme disait l’un de mes professeurs pour casser les reins de quelques internes presses d’en découdre : » Nous ne sommes là que pour assurer une zone de moindre inconfort entre les griffes du forceps et celles de la broyeuse. »
La Succession est paru aux éditions de l’Olivier.