La Chambre de Milena
Filip Forgeau écrit une fiction inspirée par la vie de Milena Jesenska, connue pour avoir, entre autres, traduit Kafka en tchèque. Il met en scène son texte, éclairé par Claude Fintaine.
Au-delà de son travail littéraire, Milena Jesenska, était aussi journaliste, femme engagée, mère, militante. Une femme libre, comme il était difficile de l’être pour une personne née a la fin du dix-neuvième siècle – et comme, quelque cent trente ans plus tard, il n’est toujours guère aisé de l’être…
Témoin de son temps, Milena Jesenska s’est inscrite dans l’histoire. Elle a écrit ses questionnements et indignations, dénoncé tout en cherchant à comprendre la tournure des événements, notamment la montée du racisme, de l’antisémitisme, l’avènement du fascisme, les atrocités de deux guerres mondiales.
Dans le spectacle de la compagnie du Désordre, Soizic Gourvil incarne Milena. Seule dans sa chambre, dans son univers avec vue sur le monde, elle pense à Franz Kafka décédé. Elle convoque son souvenir, discute avec lui, lui confie son tourment et ses errances existentielles.
Le minuscule plateau de la Cave poésie n’a jamais été aussi vaste. Avec un beau génie de la mise en scène, les images et les lieux se succèdent. Les journées passent dans l’ennui, le froid et le manque de nourriture. L’effroi et le questionnement du monde. Milena se penche à sa fenêtre. Elle contemple un univers qui part en déliquescence. Elle s’insurge. Rêve de sa déportation et d’un homme sur le quai d’une gare qui prendrait la voix de Franz pour la conduire vers l’enfer. Milena craint pour les siens. En appelle à Kafka. Aimerait le trouver près d’elle encore. L’angoisse rôde et la mort à Ravensbrück finira par l’emporter.
Durant près d’une heure trente Soizic Gourvil se fait tour à tour séduction et colère. Délicatesse de la pensée complexe et fureur face à la monstruosité de son époque. Elle discute sereinement puis hurle sa colère, la douleur qu’elle génère. Elle dit la crainte, la torpeur de laisser son enfant après avoir été elle-même abandonnée par sa mère. Elle dit la nécessité des livres. Le temps qui passe, s’enfuit même.
La voix de Franz Kafka est portée par celle de Daniel Mesguich, tandis que Fabrice Chaumeil crée un très bel univers sonore.
Le spectacle est très fort, le texte magnifiquement ciselé et écrit. Et quand le noir se fait enfin, le recueillement est nécessaire pour continuer d’éprouver ce qui vient d’être partagé profondément. Silence. Magie du théâtre où l’émotion l’emporte.
La Chambre de Milena se joue à la Cave poésie, à Toulouse, jusqu’au 19 avril.