Hommage
Il y a eu ces nuits interrompues. Trois. Trois nuits successives. Même heure. Trois fois une heure trente. Une heure trente et l’impression d’avoir fait sa nuit. Le corps comme reposé d’avoir trop peu dormi.
Anormale sensation après un si court abandon, elle s’est dit avec ses yeux ouverts.
Le ciel dégagé au dessus de son lit. Lumineux. La lune arrondie en un réverbère puissant. Halo sur les draps. Pleins feux sur son oreiller.
Elle a fixé la fenêtre de toit. Longtemps il lui a semblé. Elle a regardé par-delà la vitre. Cherché en vain les étoiles. Trop de lumière pour les déceler.
Elle a senti son esprit clair. Disposé. Prêt pour tout type de cogitation. Le cœur en chaos quelquefois. Comme une peur sautant au-dedans par intermittence. Elle n’a pas su pourquoi.
Besoin de se lever. Pieds sur le parquet doux. Frais. L’hiver encore dans sa chambre. Elle a passé une robe en grosses mailles de laine à même sa peau. Debout s’est étirée. S’est demandé ce qu’elle ferait si le sommeil la quittait de si bonne heure. Sans revenir. Son plongeoir inaccessible la privant du retour au grand bassin du repos nocturne.
Elle trouverait. Elle saurait comment occuper une insomnie elle qui n’en faisait jamais. Elle imaginait déjà des plans.
Elle a vu la bouteille d’eau. A pris trois grandes gorgées qu’elle a fait rouler dans sa bouche avant de les avaler. Sensation de fraîcheur au long de son œsophage. Jusqu’à l’estomac. Elle a suivi le parcours de l’eau qu’elle a senti flotter. Peser. Puis se réchauffer.
Étrange pour elle, dans son rythme de sommeil si régulier, de vivre des nuits en fragments.
L’opération du chaton jeune adulte qui l’avait inquiétée. De drôles d’images dans sa tête alors que le chat s’était cachée après être sortie de sa cage de transport. Agacée par le bandage de la vétérinaire. Quatre points sur son ventre rasé recouverts de Velpeau. La bande autour des épaules, autour des pattes arrière. Recouverte d’une collante pour maintenir l’ensemble autour du dos-ventre. Le chat détestant être empaquetée. S’acharnant à ôter le bandage. Se cachant pour y parvenir.
Elle inquiète. Anormalement inquiète pour l’animal. Soulevant à une heure et demi la première nuit les plaques d’aggloméré qui recouvrent encore le palier du premier étage. La maison en travaux depuis presque dix-huit mois. Elle pleine d’images du chat mourant de s’être trop gratté le ventre sans bandage. Déchiré les points.
Elle s’est recouchée. Les yeux rivés au plafond du ciel. S’est endormie. Elle ne saurait dire quelle pensée l’a replongée au noir. N’a pas gardé la trace de ce souvenir.
Quand elle s’est éveillée à nouveau, il était six heures. Trois fois de suite six heures. Sans même le réveil.
Et puis il y a eu l’appel. L’amie d’enfance. La voix grave. Tendue. La voix bouffie de larmes. La nouvelle impossible déversée par le téléphone. Comme ça. Au matin. Sans crier gare. Les écouteurs fichés dans les oreilles reportant les mots crus à ses tympans.
La nouvelle qui cogne. Fait sens et douleur aussitôt. Un samedi matin de tempête.
Il y a eu l’amie et l’annonce d’une mort. Celle à laquelle on ne peut pas croire. On ne veut pas croire. Celle qui efface d’un trait l’ami de trente ans. Celui dont soudain on se prend à parler au passé — abjectes fonctions automatisées. Qu’on ne reverra jamais.
Il y a eu cet appel qui a fait le monstre de l’absurdité. L’impossible réparation. Le manque immédiat. L’absence intolérable. La colère d’être privée d’un proche. Sans le moindre préavis.
La tension pour l’amie. Pour leur fille. Pour la suite de la vie de celles qui restent.
Il y a la tristesse et les larmes.
Salut Didier.