Godland
Godland est le troisième long métrage de Hlynur Pàlmason, un réalisateur islandais.
Format carré, à l’instar de l’appareil photo qui documente le périple, images à couper le souffle dans une maîtrise du cadrage qui rend les plans immersifs, humides, aussi beaux qu’inquiétants, l’Islande apparaît mystérieuse, austère et fascinante.
En résumé : à la fin du 19e siècle, Lucas, un jeune pasteur danois est missionné pour évangéliser une partie de l’Islande en bâtissant une église dans une région peu peuplée. Il ne connaît rien à ce pays, tiraillé par une sorte de fragilité émotionnelle présente dès les premiers instants du film, et l’incontournable charge religieuse qui lui est confiée.
La traversée par la mer du Danemark à l’Islande le rend blême. Il vomit ses tripes tout en cherchant à immortaliser le voyage et son équipage à travers quelques photographies. Son matériel est lourd, encombrant, difficile à transporter comme à manipuler, mais le pasteur documentera son épopée coûte que coûte.
Lucas a choisi de traverser le pays à cheval pour parvenir à sa destination plutôt que de le contourner en bateau. Tout à sa mission, il veut entrer en contact avec cette terre inconnue et en rapporter des images. Après le débarquement d’une croix immense et de quelques malles, un groupe de cinq hommes et une femme préparent les chevaux, chacun.e tractant un autre cheval porteur. Le ciel est bas, il pleut à grosses gouttes, ce qui ne semble pas émouvoir les autochtones. Le pasteur est grossièrement averti des rudiments de la conduite de sa monture par Ragnar, chef de file de ce convoi terrestre, force de la nature, aussi peu avenant que communicant. L’un des cavaliers est l’interprète danois-suédois qui permet le lien entre Lucas et le reste du groupe, un appui d’importance.
Le soir, la troupe s’abrite sous tente, qu’il pleuve, vente, neige. L’humidité est constante, les nuits sont froides, les repas frugaux. Le pasteur endosse son rôle.
Au fil de la chevauchée, plongée dans des paysages uniques, verdoyants, débordant d’eau, enneigés, volcaniques… Pàlmason donne à admirer le paysage dans sa vastitude. Les plans sont longs et lents en un rythme devenu rare au cinéma souvent pressé d’images et de plans cut.
La traversée et ses rebondissements sont si bouleversants et malmenants pour le pasteur qu’il finit par en perdre connaissance. Transporté sur un brancard de bois, il est accueilli à destination dans la famille locale islando-danoise de Carl et de ses deux filles, Anna et Ida. L’aînée semble aussi sage et responsable que la seconde est fantasque, libre de ses pensées et de ses gestes.
Petit à petit, Lucas reprend pied tandis que Ragnar et son équipe construisent l’église. Le pasteur supervise les travaux, photographie son environnement, celles et ceux qui le peuplent. Il parle danois avec Carl et ses filles.
Les gens des environs se réunissent pour un mariage que Ragnar, avec d’autres, accompagne à l’accordéon et au chant. Danses, repas, concours de lutte pour distinguer la force entre les hommes… Le temps d’une chanson, la fête est filmée dans un plan à 360 degrés qui nous plonge dans la vie simple des villageois.es, sous le soleil tiède de la saison d’été. Ici, comme tout au long du film, la maîtrise technique est époustouflante.
Les saisons passent, les fragilités du pasteur s’aggravent et il sombre dans sa tentative de se déprendre de Ragnar comme de ce territoire à la vie austère.
Dans le rôle du pasteur, Elliott Crosset Hove est remarquable de sensibilité, de délicatesse, d’expression de la folie qui le gagne. Ingvar E. Sigurdsson est lui aussi hyper convaincant en viking taciturne, comme l’ensemble des actrices et acteurs du film. Mention toute particulière pour Ída Mekkín Hlynsdóttir, dans le rôle de la plus jeune fille de Carl, une sorte de jubilatoire Fifi Brindacier du 19e siècle.
Godland est un film rare, puissant, émouvant. Les images sont sublimes et la façon dont le réalisateur illustre le passage du temps est particulièrement troublante. Et puis, fascination absolue pour ces langues nordiques qui se ressemblent si peu tout en déployant d’improbables sonorités. Je crois que je vais apprendre un peu d’islandais !