Gare Montparnasse
Vendredi soir. Dehors, le soir descend sous le ciel gris parisien, mais la gare est déjà dans la nuit. Foule agglutinée à proximité de l’entrée, place principale. Fumeurs en quête d’un espace autorisé. Voyageurs qui attendent leur partenaire. Badauds ralentis devant les stands d’un marché aux écharpes, crêpes et autres babioles d’un jour.
Mouvement de vacances. Migration vers l’ailleurs. Dans les étages ornés d’escaliers roulants, boutique de coupe de cheveux express et pas cher, bistrot vendeur de pâtes en tout genre, odeurs d’orange pressées, marchandises diverses à fourguer aux passants. Une multitude d’agents SNCF offrent des sacs en tissu violet aux enfants voyageurs. Dedans, on devine un livre mou : coloriage de trains, livret de jeux… Capter le client dès son plus jeune âge, flatter les parents en faisant mine de veiller sur le petit… Comment voir dans ces offrandes autre chose que du marketing ?
Tonnes de béton au-dessus des têtes. Quais étirés vers l’infini. Brouhaha en bruit de fond. Moteurs de TGV encore fumants, leur ventilation métallique envahissant l’espace. Panneau d’affichage aux lettres et chiffres tournants, en un étrange tableau au mécanisme incompréhensible : un monde à chaque remontée de ligne, virée à l’ouest, toujours. Images d’océan gris Bretagne au fil du clapotis des ailettes qui tournent, mues à grande vitesse, avant de s’immobiliser et d’offrir le numéro de train, sa destination, l’horaire, le quai de départ : Nantes, quai numéro deux.
Après chaque nouvel affichage complété d’un numéro de quai, mouvement de foule. Le parvis s’aère, les pans vidés de leurs précédents occupants aussitôt remplis de nouveaux voyageurs qui approchent et s’immobilisent dans l’attente de la sentence à venir.
Appels entre piétons qui se dirigent vers tel train. Consignes de parents aux enfants minuscules ahuris dans la foule, agrippés aux poignées de valises. Groupes de jeunes ados flanqués d’animateurs en partance vers un centre de vacances hors de la ville bruyante et polluée.
Publicités par écrans vidéo. Guérites de pâtisseries ou de sandwich. Quelque salades peut-être.
La gare fourmille de mille figures. Mille visages fatigués, traits tirés, expression harassée. Fruits d’une semaine bien pleine. D’une vie trépidante. Ou d’un ennui existentiel patent… Mille autres enjoués, enfants excités, adultes empressés. De la joie plein le corps stimulé par le projet de voyage. De l’impatience d’être à bon port avant même de voir son train annoncé au départ.
Dans les travées de la gare, les valises usent leurs roulettes et laissent dans leur sillage un son de plastique frotté. Bagage à dos, bagage à main, valise à traîner : étranges laisses humaines. Autant de vies soigneusement pliées et rangées dans leur contenant. Affaires de toilette. Et, peut-être l’oubli d’un indispensable qu’il faudra remplacer : brosse à dent, brosse à cheveux, sous-vêtements…
L’annonce au micro du retard au départ d’un train vers le Sud-Ouest en crispe quelques-uns. Mauvais présage se disent-ils. Les soirs de départ en vacances, c’est tellement souvent la galère. Si l’on s’écoutait, on partirait le lendemain seulement, pour éviter les encombrements. Comme sur les routes finalement, lors des grands mouvements de l’été.
Curieux comme un grain de sable détraque les habitudes et la négligence d’autrui. Curieux comme l’autre est soudainement digne d’intérêt quand il s’agit de verser son angoisse et ses remarques critiques. L’autre existe enfin quand le système dérape.
Et si l’on s’écoutait…