Front d’océan
Assis sur le réhausseur posé sur sa chaise derrière la table de restaurant, il se tient face à son père, à la droite de sa mère. Il a trois ans et demi. Dans son assiette, un steak frites à peine entamé. Il n’a pas faim. C’est du moins ce que concède son père qui a observé le minuscule appétit de son fils ces temps derniers.
Ils viennent de Lyon. Partis dès huit heures du matin, ils ont roulé toute la journée et sont arrivés au bord de l’océan ce soir pour quelques jours de vacances. Au vu de la couleur de leur peau, on en vient spontanément à leur souhaiter du soleil, beaucoup de soleil, pour que s’efface de leurs visages cette blancheur cadavérique qui leur donne un drôle d’air.
L’enfant s’agite sur son siège. S’ennuie-t-il ? Son père le tance, menace de lui tirer l’oreille s’il continue. Puis il approche de la bouche de son fils son verre de vin blanc. Tu veux goûter ? Il glisse le verre entre les lèvres de l’enfant qui en tète le bord. Légère grimace. Nouvelle gorgée. Puis une troisième. Une quatrième.
Le verre s’éloigne. L’enfant observe son parent et son air satisfait. Le père moque : tu aimes ça ? c’est bon hein ? tu vas devenir un vrai alcoolo si tu continues hein ! Rire de l’adulte. Mère effacée, absente à la scène.
Dehors le vent. La pluie a suspendu son flot depuis quelques heures à peine. Pas encore l’été. Des braseros sous la véranda du restaurant pour disséminer une impression de chaleur.
Vient le choix du dessert : glace au chocolat pour celui de trois ans et demi. L’enfant se fait remuant. Il veut quitter la table. Nouvelles menaces parentales concernant l’oreille, non mises à exécution. Empêché de se mouvoir, il doit rester à table le temps de terminer son repas, n’aura pas de bonbon ensuite cette fois lui dit le père, c’en est terminé des bonbons.
Nouvel approvisionnement en vin blanc de l’enfant qui boit au verre plusieurs fois de suite. Il tente de rire comme son père l’a fait précédemment, cherche la connivence, déclenche la complicité.