Extases
Après la longue série du Magasin général à laquelle il aura consacré plus de 10 ans, Jean-Louis Tripp publie son autobiographie sexuelle. 2 tomes sont déjà parus.
Dans le 1er volume d’Extases, une page introductive adressée au « cher lecteur » explique le pourquoi de cet ouvrage : on notera l’absence de la « chère lectrice » dans cet intitulé générique au masculin, bien que les affaires du sexe les concernent tout autant que la BD. L’auteur dit avoir besoin de porter à la face du monde sa vie sexuelle. Ah ! se dit-on, elle doit être singulière cette vie, si l’auteur pense qu’elle mérite 4 volumes pour être racontée !
Premier volume : l’enfance, l’éducation, les premiers émois, l’adolescence, la sexualité. Et l’extase donc, quand tout se passe au mieux. Le texte démarre dans une narration extérieure qui rend le récit pataud — l’auteur parle du « petit Jean-Louis » au « il ». Il qui deviendra « je » dès le dépucelage.
La découverte de la sexualité n’est pas évidente quand bien même son éducation sexuelle est supposée l’y avoir préparé. L’adolescence de certains hommes est plutôt obsessionnelle, la sexualité plutôt pénétrante. L’amour à deux c’est insuffisant pour l’auteur qui va donc orienter ses choix vers une sexualité plus largement partagée : hommes femmes, il goûte à tout et s’en réjouit. Le premier tome s’achève sur une soirée « orgie romaine » entre ami.es dans laquelle le sexe en vient à se mêler sans que cela ait été prémédité…
Si la mise en images est intéressante, drôle parfois, légère et enjouée souvent, manque un propos de fond en parallèle de la chronologie biographique. Une mise à distance des actes via un regard critique rétrospectif aurait rendu ce premier volume un peu plus impliquant.
Les montagnes russes, vol. 2
Dans le 2e tome, l’auteur poursuit ses confidences. L’ouvrage débute par une page prévenant le public que le livre n’est pas un livre de cul, mais un témoignage d’émancipation. L’auteur annonce un propos politique : le contrôle des corps par le patriarcat, les luttes des femmes pour la contraception, contre les violences… Et le bât blesse dès lors, car à aucun moment le propos liminaire n’évoque le besoin que les hommes se défassent également des carcans du patriarcat, sinon ainsi :
« Les combats d’émancipation commencent tous par la récupération de la souveraineté sur son propre corps. Extases ne raconte pas autre chose qu’un parcours d’émancipation. […] Mais il y a ce contrôle des pouvoirs, ce contrôle millénaire qui nous a fait intégrer que les images de l’amour et du sexe seraient choquantes, impudiques, honteuses, sales et dégradantes. »
Heu, un corps sans mental, ça existe ? Un corps émancipé sans une tête libérée, c’est possible ?
L’auteur souhaite dédramatiser la sexualité, la sienne en particulier. Il lui faut évoquer au grand jour ce qui peut survenir entre adultes désirants, c’est sa démarche engagée.
Tout à sa quête de jouissance et de plaisirs, l’auteur s’ennuie vite en couple. Il couche ailleurs, trahit, des larmes surviennent, des ruptures, un changement de vie professionnelle, deux enfants… Il vit une sexualité partagée en nombre restreint, travaille sa jalousie, consulte un thérapeute.
Jean-Louis Tripp profite de son fil narratif chronologique pour rappeler ses ouvrages précédemment parus, leur couverture profitant de la vitrine des pages pour y être affichées — placement de produits se dirait-on au cinéma…
Il finit par rencontrer son Graal, celle avec laquelle il renouera vers une sexualité largement partagée, en club cette fois. Dans un lieu organisé en plusieurs niveaux et de multiples salles pour voir ou être vu, toucher sans voir, être au centre de l’attention, coucher à plusieurs… la black room est une salle dédiée aux pratiques SM. La fin de l’ouvrage donne à comprendre que le prochain volume sera consacré à cette part-là de la sexualité de l’auteur.
« Pour beaucoup de gens, ici, ce serait un des cercles de l’enfer. Sodome et Gomorrhe. Pour moi, ce serait plutôt l’Abbaye de Thélème, un lieu de liberté, en tout cas, un endroit où les codes sociaux sont abolis… Où l’on est autorisés à transgresser. »
Transgresser… mais pas tous les tabous. L’ouvrage évoque les femmes qui se mélangent tandis que les hommes se tiennent à distance les uns des autres : les fantasmes masculins hétérosexuels sont ici parfaitement servis…
Au fil du 2e volume, le propos faiblit dès lors que l’auteur tente d’expliquer les stéréotypes inféodés aux hommes, forts, conquérants… tandis que lui est timide, empêtré… Les pages manquent toujours de cette profondeur de champ qui tendrait vers l’universel, de questionnements quant aux clichés, au parcours de la vie sous influence quand on croit pourtant choisir librement… L’auteur joue et veut continuer à jouer et à jouir, à verser dans ses fantasmes, c’est ce qu’il revendique.
Il semble finalement qu’il prenne son public à témoin afin que celui-ci constate, au fil des pages, comment, tout à son hédonisme, il a bien joui.
Transgression ? Politique ?
À mon sens, ce qui serait éminemment politique, ce serait un ouvrage écrit par un homme qui interroge ses représentations sexuelles et ses pratiques comme sa quête de sensations fortes qui passent par le rapport au corps des autres, majoritairement des femmes, consommé sans retenue. Un homme qui se préoccupe de contraception pas seulement pour s’épargner les MST, qui cherche à comprendre les rapports sociaux à l’œuvre dans une sexualité dite libre où il pense s’émanciper en transgressant…
Ça, ce serait politique.
- La série Extases est publiée aux éditions Casterman.