En terrasse
Sur le parvis de la place de la mairie, la brasserie a étendu sa terrasse. Tables basses et banquettes, tables rondes au couvert installé, tables hautes et tabourets assortis. Il fait beau, le soleil d’automne attire les passants à l’heure de la pause méridienne.
Assis à un mange-debout, un homme s’affaire avec des cartes postales. Air appliqué, concentration, il regarde les photos avant d’écrire à leur verso.
Trois hommes en veste de costume et chemise claire discutent à quelques tables de lui. Un autre qui arrive les reconnaît et vient les saluer. Les hommes échangent quelques mots, quelques sourires, avant que le nouveau venu rejoigne la table où l’attend quelqu’un.
À proximité une femme informe la cantonade qu’elle vient d’aller chercher sa petite-fille à l’école pour déjeuner avec elle. Elle le dit au téléphone, parle fort, tient l’outil en mode haut-parleur devant sa bouche. Elle invite son interlocutrice à la la retrouver en terrasse pour partager ce moment, mais l’autre est trop fatiguée pour ressortir de chez elle. Pendant qu’elle mène sa conversation publique, la femme commande une omelette frites pour l’enfant, donne des consignes à la petite attablée face à sa grand-mère et continue d´étaler sa vie et celle de son interlocutrice, téléphone à hauteur de visage. Le soleil éclaire une demi-terrasse, l’ombre est fraîche.
L’omelette est servie. L’enfant s’ennuie. Sa grand-mère toujours au bout du fil qui ne se soucie guère d’elle. La femme raccroche, débute une conversation avec l’enfant qu’elle laisse tomber aussitôt que le téléphone sonne à nouveau. Nouvelle conversation publique, haut-parleur, appareil devant le visage. La terrasse est couverte de propos personnels parlés fort, la femme répète systématiquement la dernière phrase de son interlocuteur. Tout en s’exclamant, elle pioche dans l’assiette de l’enfant, mange avec ses doigts et ingurgite une bonne partie du plat. L’enfant est seule face à sa grand-mère retenue par quelque correspondant.
Un des trois hommes de la table d’à côté se penche sur sa chaise et demande à la femme de couper le haut-parleur : « Si vous me le demandez gentiment je le ferai peut-être ! » claque-t-elle. À défaut de gentillesse l’homme a fait usage de politesse. Il ne relève pas la remarque incongrue. Elle coupe le volume, parle spontanément plus bas. L’enfant termine son assiette mais la dernière frite sera pour la grand-mère qui mâche en conversant ailleurs.
Elle raccroche après quinze minutes. Tend sa lèvre supérieure lissée par injections vers sa petite-fille : « Bon, alors, qu’est-ce qu’il fait ton père ? Il est toujours en retard ton père ! » Elle remue sur sa chaise. N’a rien à dire à l’enfant. Plus loin, la terrasse se garnit d’une tablée de huit femmes installées en longueur.
Le fils-père arrive, salue, s’installe, parcourt rapidement la carte. La femme s’agite, exige la serveuse sur-le-champ. Elle minaude en étudiant la carte puis en regardant son fils : « Non, mais je ne vais prendre qu’un dessert, ça m’est égal, je n’ai pas trop faim… Mademoiselle ! Mademoiselle ! »