En équilibre
Travelling. Sur une plage, un homme galope son cheval. Duo visiblement réjoui. À vive allure, le cavalier tente une figure acrobatique, la tient, puis se place en poirier le long de l’épaule de sa monture. Il reprend son assise, on est soufflée : il semble qu’Albert Dupontel n’ait pas été doublé.
Dans le film de Denis Dercourt, Marc est cascadeur à cheval, de ceux qui maîtrisent le dressage et œuvrent sur des tournages de film. Othello est son cheval, son partenaire qui connaît les pauses, les postures, et marche à l’assiette. Et puis, lors d’une prise de scène, un chien aboie, Othello se cabre, c’est la chute suivie du piétinement du cavalier qui laisse ses deux jambes dans un film d’époque.
Cécile de France est Florence, assureuse. Elle débarque chez Marc accompagnée des stéréotypes de son métier : talons, tailleur pantalon, chignon travaillé, maquillage discrètement présent, voiture noire. Dans la ferme en cours de travaux d’agencement pour handicapé en fauteuil, elle découvre le goût de Marc pour le piano de Liszt. Discussion et premières négociations : il s’agit d’aller vite, de s’assurer que le cavalier n’a pas outrepassé les limites qui étaient les siennes, de signer sans rechigner pour la somme mentionnée. Florence subit la pression de sa direction qui veut rapidement boucler le dossier afin que l’accidenté ne soit pas trop gourmand.
Homme de tempérament, Marc demande un temps de réflexion. Le dossier prend du retard, Florence en paiera les conséquences. Le cascadeur remontera à cheval, que ses jambes le veuillent ou pas. Il familiarise non sans peine Othello à son fauteuil roulant et passera au quad pour gagner en stabilité. Il s’entraîne, muscle ses bras à la corde à nœuds, tente la selle et échoue, mais recommencera. Solitaire battant dans cette lutte pour retrouver son art, il est secondé par un lad compétent et aidant. Il a aussi des amis bienveillants.
Dans la vie de Florence, tout est assorti du fragile vernis de la perfection : mari aimant, enfants aimables, piano dans une maison en bois où les soirées se succèdent en famille ou avec des amis. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils gagnent de l’argent, pas de temps à perdre avec les losers.
Pas si simple.
La rencontre avec Marc bouscule Florence dans ses certitudes, égratigne le vernis, agite l’oubli dans lequel elle s’était endormie. Oubli d’elle-même et de sa passion pour le piano. Oubli que son métier est parfois monstrueux. Oubli que la vie se doit d’être solidaire, sans quoi elle se racornit. Oubli qu’il s’agit, aussi et surtout, de lâcher-prise, de se détendre, de se laisser aller à ce qui est, à ce qui vient, à ce qui est à vivre à l’instant.
De ruades en rebuffades, chacun trace son chemin vers l’autre et avance avec authenticité, quand rien n’était donné pour autant.