Dix-neuf minutes officielles 5/6
23 h 56. Il est pourtant plus de minuit au ccfl où j’entre. D’emblée, je ne me sens pas à ma place. Les regards sont nombreux qui se posent sur moi. Durs. Fermés. Je lève les yeux et vois mon visage sans capuche sur l’écran des informations en temps réel. J’hésite. Vais-je céder à la pression hostile ou passer outre et prendre le temps de boire le thé dont je sens que j’ai besoin maintenant ? Avant de continuer ma route. Avant de rentrer chez moi peut-être comme 412-335 me le demandait. Avant de bouger au moment où je l’aurais décidé.
Derrière le bar, le serveur semble pétrifié, son regard planté en ma direction. Je repère une table libre à proximité. Je m’avance, sens le poids des regards. Mon mobile sonne. Le 0 m’appelle pour une identification. Je suis convoqué à l’agence 0 du quartier, boulevard de la Police-Montée. Je raccroche. Je m’assois. Consulte la liste des boissons sur l’écran plasma de la table et appuie sur le chiffre me convenant. 7 : thé vert de Chine, commerce équitable, transports aériens réduits, empreinte écologique 19. Boisson délicate aux saveurs exotiques d’un beau vert jaune, présence d’antioxydant, déconseillé en cas d’insuffisance rénale, fort pouvoir drainant.
Le serveur me fixe et dépose sur la table une théière en fonte provenant des boutiques de décoration de la chaîne Partout le Monde, un bol en céramique de l’Atelier 27. Sur le terminal portable, il enregistre ma boisson, demande l’apposition de mon cachet : je tends mon pouce droit et frémis à la sensation de viscosité ressentie lorsque je presse mon doigt sur la tablette d’authentification.
23 h 12. Le mobile sonne à nouveau quand il est 0 h 31 au ccfl. Une voix m’intime l’ordre de me présenter au plus vite à l’agence Police-Montée pour l’identification. Ma trace satellitaire demeure immobile, ce qui ne peut être recevable, sauf cas de force majeure, puisque l’injonction m’a été transmise directement. On m’attend. (…)