Dix-neuf minutes officielles 4/6
Sur le trottoir d’en face, le bâtiment de l’Économie de la contribution est éteint. Les vitres du bas brisées lors des récentes manifestations populaires contre les chercheurs qui y travaillaient ont été remplacées par des briques scellées. Il sera démantelé à compter du mois prochain pour être converti en galerie marchande de surface. Ce lieu est peut-être le dernier vestige, le seul témoin encore debout des tentatives faites au cours des dernières décennies pour amener les humains à s’alléger, voire à se libérer pour les plus audacieux. Du joug de l’asservissement. Du pouvoir. Consumériste. Égotiste. Décérébré.
Las, le peuple s’est ému des découvertes concernant les rouages de la coercition. Supportant difficilement d’être mis à jour, il a préféré s’opposer. Empêcher ceux qui parvenaient à le démasquer de faire savoir. De se répandre par voie satellitaire. Par la fibre optique. Par ailleurs.
Soudain un raffut de sirènes et autres moteurs poussés à fond me porte à détourner mon regard vers les allées. La milice s’arrête à l’endroit où j’ai laissé l’homme aux chiens. 421-335 avait annoncé deux heures d’attente… De loin, je vois les patrouilleurs tirer sur les chiens. Deux d’entre eux embarquent l’homme dans le fourgon à gyrophare. Je ne l’ai pas vu esquisser un mouvement. Les chiens sont enfournés après lui. Les véhicules du service de désinfection se mettent à la tâche pour rendre l’emplacement net. Effacer toute trace.
Une sensation de froid me parcourt. Un froid qui me semble vieux. Ancien. Archaïque. Un froid de l’intérieur des os qui transperce jusqu’à mes pores contractés. Je sens que je tremble. (…)