Dix-neuf minutes officielles 1/6
Dix-neuf minutes officielles et une nouvelle publiée en mars 2010 dans la revue Les Cahiers d’Adèle. Le thème de ce numéro était la ville.
Je propose la lecture cette nouvelle en 6 épisodes quotidiens dont voici le premier.
23 h. Je m’apprête à quitter le restaurant où la sono vient de monter de cinquante décibels au moins. L’heure est ainsi signifiée de passer à la caisse et de prendre la pose clubber. Il ne s’agit plus de manger mais de boire dorénavant. Que celui qui n’a pas envie d’opter pour la mimique aille voir ailleurs. J’en suis cependant que ceux avec lesquels j’ai partagé le dîner restent faire la fête. Pour ma part, je ne sais pas m’enjouer sur commande ou sur prescription au seul motif que c’est samedi soir.
23 h 08. Un vent glacial me saisit. La soirée soir bat son plein. Des groupes de jeunes circulent bras dessus bras dessous, cannette et bouteille d’alcool qui passent de bouche en bouche. Je souris à leur inconscience aux épidémies, aux microbes qui se propagent par la salive. Ceux qui ont la réputation de vous rendre malade et impliquent une vaccination devenue obligatoire dès les premiers symptômes.
Je remonte l’avenue de la Grande-Armée vers le centre-ville. Devant la pharmacie générale, une file d’une douzaine de personnes qui piétinent dans le vent froid. Deux se disputent, l’une prétextant être arrivée avant l’autre et vouloir la place qui lui revient pour retirer les doses vaccinales. C’est pour ses enfants dit-elle comme à s’excuser de sa mauvaise foi. Les autres attendent, inertes, indolents.
À l’angle de l’immeuble, un homme caresse le distributeur de préservatifs qui semble ne pas vouloir lui accorder ce qu’il attend. Samedi soir c’est baise sur commande, pensé-je non sans cynisme, le reste de la semaine étant à travailler sans discontinuer. À proximité, le distributeur de masques anti-microbiens est défoncé. Sa porte cabossée pend avec un air lamentable.
Je m’arrête pour prendre le temps d’un tour d’horizon sur la ville alentour qui, plongée dans la nuit, a revêtu son artificialité électrique. (…)