Des cris dans la nuit
La soirée est tranquille. Dans le séjour, un film vidéo tourne sur l’ordinateur portable. Mystic River : pas la plus tendre des histoires mais elle avait envie de la revoir. Installée sur le canapé, son portable sur la table du séjour, elle picore dans un bol un riz aux légumes d’été, de ses baguettes en bois brut.
Elle se remémore les conséquences du début de l’histoire. Ne sait si sa mémoire est fiable ou si Eastwood embrouille délibérément les pistes dès le départ pour une intrigue au fond pas si évidente.
Dehors, des cris. Elle a fermé les volets, a oublié l’heure qu’il pouvait être, se demande s’il faut une heure particulière pour entendre crier au dehors. Tempête sous son crâne. Cœur à l’accéléré. Elle se lève, tape la barre espace du portable qui bascule le film sur pause. Tend l’oreille. Qu’a-t-elle entendu ? Étaient-ce des cris au-dehors ou le film se joue-t-il de ses sens ?
À nouveau la dispute, le son des cris dans la rue, aucun doute maintenant.
Elle glisse ses pieds dans des claquettes, tourne la clé dans la serrure, tire la porte, la claque aussitôt derrière elle. Elle s’immobilise et écoute le silence. Rien. Plus rien. Regard à gauche, regard à droite. Personne. Elle remonte lentement la rue vide de mouvement. Croise un chat qui sort à son passage de l’abri offert par une voiture. Amorti le poids de ses pieds à chaque fois qu’elle en pose un, pour faire toute la place aux sonorités.
Au croisement sur sa droite, elle aperçoit deux silhouettes dans la ruelle. Deux hommes. Elle les reconnaît. Des voisins. Ils ont l’air tranquille. Un chien à leurs pied.
Elle s’approche. Les salue. Vous avez entendu des cris ? Dites, comme moi, vous avez entendu des cris par là ?
L’un : Oh, c’est pas grave ça. Il tend le bras et pointe son doigt vers l’immeuble bas du coin de la rue. C’est eux là qui se disputent tout le temps. Je crois même qu’il lui fout sur la gueule parce que des fois c’est les enfants qui chialent à deux ou trois heures du matin.
L’autre : Ouais, vous en faites pas, nous on a l’habitude. C’est comme ça depuis des mois.
Elle : Et personne n’intervient jamais ? L’autre : Ben, c’est leurs oignons, on va pas aller se mêler. L’un : Ça les regarde, non, la façon qu’ils ont de vivre ensemble ? C’est pas mon problème.
Elle : Mais, c’est de la violence conjugale ! On ne peut pas laisser faire sans rien dire. Il y a peut-être de la détresse. Du danger pour les enfants aussi… Qu’est-ce que vous feriez, vous, si votre compagnon de vie vous tapait dessus ? L’autre : Ça risque pas, ma femme elle s’est barrée il y a plus de dix ans. mais, je lui aurais mis des claques pour qu’elle se calme. Ça se fait pas de tabasser pour rien. L’un : Ah ouais, c’est sûr ça au moins. Ça se fait pas de s’énerver pour rien.
Elle : La violence nous tue à petit feu. Elle nous ruine. C’est comme pour eux.
L’autre : Mouais, c’est comme pour eux…
L’un : Bon, qu’est-ce qu’on fait alors ? On y va ? On sonne à l’interphone ?
Elle : On demande si on peut aider.
L’autre : Moi je reste là. Pas mes affaires celles des autres.