Décalage de saison
Montréal. Depuis ma vie d’avant, il est deux heures trente. Ici, je tente de faire comme s’il était seulement vingt heures trente. Pourtant, je pique du nez en tentant de me persuader que la soirée débute à peine. Étonnant comme le temps est ancré en soi et la manipulation de son horaire routinier difficile. Sur ce terrain, la trahison est impossible.
Dans la salle de restaurant de l’auberge de jeunesse, certains pensionnaires dînent. D´autres prennent un verre et discutent. Certains assis dans quelques fauteuils, les autres attablés. Le ron-ron du moteur des frigos ajoute à la langueur générale. Chacun dans sa bulle de décalage horaire, de changement linguistique, après une longue journée de pluie.
Ici, où la wifi est connectable sans difficulté, les résidants s’installent avec un portable, un mobile, une tablette. Le lien vers le monde est simple. Les tribus échangent à des milliers de kilomètres. Le monde se parle. Les informations circulent. La solitude n’existe plus vraiment.
Deux jeunes femmes asiatiques sont assises à une table voisine, les casseroles de leur repas empilées l’une sur l’autre. Chacune tient devant son visage un téléphone mobile. Chacune écrit avec des mouvements rapides des pouces. Chacune dans son monde, avec les siens.
Plus loin deux hommes en vis-à-vis. Polaires rouges, tablette sur la table et sandwich à partager, deux cannettes de bière sur la table.
Multiples nationalités, langues du monde, boissons qui se ressemblent mais repas spécifiques, l’interculturalité se vit ici avec un naturel déconcertant. La première question qui s’échange dans ce territoire : where do you come from ? Une belle entrée en matière.