Comme des bêtes
Violaine Bérot prend le pari de raconter une seule et même histoire par le prisme de 14 protagonistes, qu’elle ponctue par la ritournelle des fées de la grotte. Et ça marche !
Comme des bêtes embarque dans une histoire singulière survenue dans un village de montagne.
« L’Ours, on l’appelait comme ça à l’école. Je pense qu’au départ, c’est venu du fait qu’il n’avait pas de père. Vous n’êtes pas d’ici, alors peut-être vous ne le savez pas, mais c’est une tradition dans nos vallées. Les enfants sans père sont les fils de l’ours, c’est comme ça. »
Mariette et son fils l’Ours vivent à l’écart du village. Ils ne dérangent personne, rendent des services, notamment parce que le fils est très costaud et que ça aide bien.
Elle, elle descend au marché le samedi où elle croise les gens du village, vend ou troque des bricoles. Lui, il est mutique, personne ne l’a jamais entendu prononcer un mot. Quand on l’approche et qu’il ne le souhaite pas, il grogne comme un animal. Sa mère a fini par le sevrer de l’école quand l’équipe enseignante lui a proposé de le placer en institution. L’Ours s’entend parfaitement avec les animaux qu’il semble à même de soigner, c’est aussi pour cela qu’il est parfois sollicité par les voisin.es.
Alors qu’une randonneuse fait une découverte qui va plonger la vallée dans l’émoi, les villageois.es sont interrogés au fil d’une enquête. Et chacun.e y va de sa petite histoire, avec des anecdotes, des faits, des critiques, des témoignages.
« Maintenant, vu ce qui se passe, il faut que je le dise. Mariette et son fils, c’est pas des sauvages, c’est même des gens très bien. […] L’année où je les ai connus, j’avais mes vaches là-haut. Je montais régulièrement depuis chez moi voir le troupeau, contrôler que tout allait bien. C’est comme ça que ça a commencé, avec mes vaches et lui qu’était encore qu’un môme. »
Le récit choral de Violaine Bérot tisse le portrait d’une communauté aux multiples dissensions. L’autrice travaille sa langue pour donner une voix particulière à chacun.e des protagonistes.
De l’institutrice donneuse de leçon aux paysans éleveurs, l’histoire qui se raconte à propos de Mariette et de son fils nous prend à témoin de petites vengeances, de dénonciations ou autres jugements dont les êtres humains semblent friands. Mais aussi des incompréhensions au regard d’un événement qui n’a de cesse de questionner, des hypothèses que les unes et les autres dressent, leur cerveau en quête de raison, de cette rationalité qui devrait pouvoir tout expliquer, tout justifier. De sincérité encore lorsque d’aucuns passent outre ce qu’ils ou elles avaient tu pour révéler des secrets longtemps étouffés.
Au fil des pages, l’autrice nous donne les seuls points de vue de ses témoins pour avancer dans la compréhension de l’histoire, dans l’analyse qui en est faite, dans ce que cet événement qui exige une enquête brasse et ravive dans la vallée.
Lors de son interrogatoire, Mariette se bat pour garantir à son fils la possibilité de poursuivre son existence dans cette montagne qui est son point d’équilibre. Là où il peut se tenir à distance des humains et ne fait de tort à personne — c’est déjà pour cela qu’elle l’avait retiré de l’école, en refusant le placement en organisme dit spécialisé.
Dans un village où les différences agacent plus qu’elles ne développent l’intérêt ou la curiosité pour autrui, les indices que sème Violaine Bérot laissent à penser que la vie de l’Ours risque de prendre un mauvais tour.
À moins que les fées, qui veillent depuis si longtemps dans leur grotte, n’arrivent à renverser la situation…
« Alors les fées là-dedans, m’autoriser à croire aux fées, ça m’apportait une bouffée d’air. De temps en temps, à la place des cauchemars, je voyais des fées. Elles m’apparaissaient. Les fées de la grotte, celles qui s’occupent des bébés. […] À toutes les jeunes filles qui vont connaître cette horreur, je souhaite de trouver des fées pour les aider à se redresser. C’est cela que je voulais vous dire. »
Comme des bêtes est le 10e ouvrage de Violaine Bérot. Il est paru aux éditions Buchet-Chastel.
One thought on “Comme des bêtes”
Merci Hélène pour ton analyse de « comme des bêtes » qui aiguise ma curiosité et me donne très envie de me plonger dans ce roman.
Une occasion également de te saluer bien cordialement.