Cérémonial
Elle se tient là, figée, dans le couloir de son appartement. Elle est dans la pénombre, la lumière brûlerait ses rétines et tenterait de tirer hors d’elle la noirceur du dedans. Elle s’est levée avec. Elle sait ce que cela signifie.
Absorbée par ses pensées, elle hésite à se mettre en mouvement. Pourtant, elle le sait, elle le sent, cette journée sera mangée par le vide. Par la douleur de sa peine. Par la torpeur d’une béance qu’elle ne comblera pas. Une cicatrice régulièrement écorchée pour qu’elle ne guérisse jamais tout à fait. Son corps mangé par l’absence. Par la disparition. Son âme désolée, tellement désolée.
Elle lève une main lourde et la repose sur la poignée du placard mural. Elle tente la poussée, la poignée s’enfonce. Elle tire la porte vers elle. Une odeur de lavande l’accueille propice à apaiser, un tant soit peu, son tourment. C’est ce qu’elle croit. C’est ce qu’elle se répète. Cette odeur-là, cette odeur qui est un peu toi, cette odeur me fait du bien, elle baume mon cœur étréci.
Elle recule pour céder le passage à la porte et s’enfonce dans le placard. Cette fois comme les précédentes elle sent son cœur battre plus fort, cogner dans son cou, serrer dans son plexus. Elle se passe de l’éclairage électrique. Sait où sont rangées les choses. Garde imprimées les traces du mouvement dans l’entièreté de son être. Même aveugle, elle parviendrait à s’emparer de ce qu’elle est venue chercher.
Elle respire lentement, bouche entrouverte. Elle soulève ses deux mains, parallèles à implorer. Les porte devant elle et les glisse sous une pile soigneusement alignée. Le contact du coton doux la fait tressauter, elle se reprend aussitôt. Elle se contient. Pas encore, je ne suis pas encore tout à fait prête.
Immobile à nouveau, les mains chargées d’un alignement affaires, elle semble empruntée. Deux pas en arrière, elle pivote et se dirige vers le séjour. Ses pas sont lents, mesurés. Les volets sont encore tirés et le soleil tente un timide passage entre les lames ajourées.
Elle s’installe dans un fauteuil, son trésor dans ses mains qu’elle pose sur ses cuises. Elle regarde, fixe, enfonce ses yeux dans la matière douce qu’elle caresse d’un mouvement d’une absolue lenteur.
Alors seulement, elle déplie une marinière, une grenouillère, défait une minuscule paire de chaussettes. Elle pleure en silence et laisse glisser ses larmes sur les vêtements qu’elle contemple, caresse, renifle et, déplie et replie.