Boy, Snow, Bird
Boy, Snow, Bird est une histoire de femmes — et de quelques hommes —, aux États-unis, dans les années 1950. Dans son roman, Helen Oyeyemi distille quelques réflexions bien senties sur la condition des femmes. Sur le racisme envers les Noirs et son corollaire, la fascination pour les Blancs. Sur la vie conjugale et ses écueils. Sur la tragédie d’une vie au destin brisé.
Boy Novak naît à Brooklyn en novembre 1933. En dépit de ce qu’induit son prénom, elle est une jeune femme, élevée par un père violent dont le métier consiste à piéger et tuer les rats. Elle ne connaît pas sa mère. Boy est brillante mais n’ose pas vraiment le montrer, réduisant ses capacités à se protéger. Elle a besoin d’être aimée.
Usée par sa crainte d’un père dont les assauts colériques sont ravageurs, elle décide un jour de prendre la poudre d’escampette. Elle dérobe de quoi payer un billet de bus pour quitter New York et débarque à Flax Hill, la ville de l’aussi loin que l’argent volé lui permette de se rendre. Il importe qu’elle rende l’argent.
États-Unis, années 1950, le racisme est à l’œuvre et, dans certaines familles, on adule la pâle peau des Blancs, leurs cheveux défrisés. On va même jusqu’à se prendre pour blanc quand on ne l’est pas vraiment.
De petits boulots en découverte du monde, Boy croise d’autres jeunes femmes un peu paumées, comme elle. Certaines seront de simples fréquentations lors de son séjour au foyer, d’autres deviendront des amies pour la vie, celles à qui on peut tout dire, celles en qui la confiance est absolue, celles qui font rire quand la vie fait mal.
Boy se connaît peu, s’ajuste en permanence à son environnement. Elle devient libraire et rencontre Arturo Whitman, qu’elle exècre, avant de partager sa vie. Il est veuf, fabrique des bijoux, est le père de Snow avec laquelle Boy ne s’en sort pas. Elle place Snow chez Clara, une tante, afin d’éviter de laisser la peau dans une vaine tentative d’éduquer et d’aimer l’enfant d’Arturo et de Julia. Entre autres déchirements, Boy aime Charlie, un garçon de l’enfance à Brooklyn, finalement éconduit tandis qu’elle choisit Arturo.
“Les pressions auxquelles j’avais été soumise enfant m’avaient rendue réaliste quant à mes capacités. Certains, je le sais, apprennent à encaisser toujours plus et continuent d’avancer. Pas moi. Je suis d’une autre nature. C’est ce qui m’avait empêchée de dire à Charlie Vacic que je l’épouserais. Vous comprenez, je recherche un rôle dont je pourrai dire les répliques avec conviction, quelque chose de concret.”
Viendra Bird, la fille de Boy et d’Arturo, qui affiche les traits de ses origines afro, quand la famille d’Arturo avait tout fait pour les cacher, à grands renforts de produits toxiques. Bird grandit bercée par la légende familiale créant le mythe de Snow, grande absente de la vie de sa petite sœur.
Histoires de familles compliquées aux non-dits ravageurs, Boy, Snow, Bird est construit en trois parties. La première est consacrée à Boy, sur le mode de la narration extérieure, teinté d’incises à la première personne. Quelques lettres de Charlie à Boy donnent à comprendre la douleur de ce qui se joue pour lui.
La deuxième partie place Bird au centre de la narration et s’étoffe d’une correspondance soutenue entre les deux sœurs. On y découvrira que les trois femmes du titre entretiennent un rapport singulier à leur reflet dans les miroirs, la mère leur faisant d’emblée confiance, les sœurs s’étonnant d’être parfois invisibles, leur reflet absent, ce qu’elles ne s’expliquent pas.
“Personne ne m’avait jamais prévenue au sujet des miroirs, de sorte que je les ai appréciés durant longtemps, les croyant fiables. Je me cachais entre eux en en plaçant deux face à face de sorte que, debout au milieu, j’étais réfléchie à l’infini dans l’un et l’autre sens. Beaucoup, beaucoup de moi. Quand je me dressais sur la pointe des pieds nous étions toutes dressées sur la pointe des pieds, à tacher de voir la première d’entre nous, et la dernière.”
La troisième partie est celle du dénouement. Au fil de ses pages, l’auteure a semé de nombreux indices. Rassemblés en une fin stupéfiante, ils donnent du sens à ce qui, au cours de la lecture, pouvait parfois paraître étrange, voire saugrenu. L’écriture est tonique, très oralisée dans un ensemble foisonnant, enlevé, quoique parfois un peu bavard. Notamment dans la partie intermédiaire, celle de Bird, où l’auteure s’exprime sur le même registre de langage que Boy, ce qui donne moins de crédit et de force aux réflexions de la jeune fille. Quant au dénouement, il est parfaitement imprévisible.
Helen Oyeyemi offre des pages fortes et émouvantes sur ce qu’est une vie brisée, un bel avenir fracassé, et les conséquences de ces changements de cap pour les générations qui s’ensuivent. Tant que le voile n’est pas levé, que le mystère familial demeure non dit, les individus en portent les stigmates et reproduisent, à leur insu, tout ou partie du drame.
Boy, Snow, Bird est traduit de l’anglais. Le roman est publié chez Galaade.
- Le roman chez son éditrice : Boy, Snow, Bird
- Lire un extrait.
- J’ai publié cette chronique le 27 juillet chez Mediapart dans le cadre de l’édition participative « Des livres et nous« .