Begat Theatre, sortie d’Usine
L’Usine est un lieu dédié au spectacle de rue. Installée à Tournefeuille (Haute-Garonne), la structure se compose de locaux accueillant des compagnies « à demeure », d’un immense atelier, d’une cantine, d’un appartement pour la résidence de comédiens et metteurs en scène, vidéastes… et d’une cour lieu de stockage de décors incroyablement foisonnants. Une équipe de permanents coordonne le lieu, impulse des projets.
La compagnie Begat Theater a bénéficié d’une résidence à l’Usine. À la fin de son séjour, le public est invité à une « sortie d’Usine », en guise de restitution des travaux de résidence, des travaux encore en chantier. Je m’inscris.
Quelques jours avant le rendez-vous programmé, je reçois un mail qui me demande mes coordonnées téléphoniques. Le jour J, j’aurai mon téléphone mobile et j’apporterai ma carte d’identité, je suis d’accord. Questionnement sans réponse : que va-t-il se passer ? Un autre mail, plus tard, contenant un morceau de l’histoire, une coupure de presse relatant un fait divers toulousain — inventé pour la circonstance —, un contrat de publication. Je deviendrai Marie Dupont, pseudonyme d’une écrivaine de romans policiers à succès. J’aurai besoin, pour écrire ce roman, d’un lieu tranquille. Le rendez-vous sera à proximité d’un local prévu pour mes travaux d’écriture.
La Disparition est une expérience artistique étrangement troublante. J’arrive sous la pluie battante, à proximité du banc situé place de la Daurade, devant le café des Artistes. Je ne m’assois pas. Il fait à nouveau froid dans la ville brassée par les giboulées. La mise en scène n’y peut rien.
Appel téléphonique : une voix m’indique de me diriger vers la rue Malbec. Je marche et suis très vite rejointe par mon interlocuteur. Il est Frank, porte une sacoche en cuir épais, il est agité, en retard. Il m’accompagne visiter ledit local calme et propice à l’écriture. Nous cheminons sur quelques mètres, entrons dans un immeuble. Rez-de-chaussée, il ouvre le bureau numéro un et m’invite à entrer. C’est l’endroit qu’il a choisi pour que je puisse avancer mon roman.
Frank me remet un casque audio, un livre de poche policier usé dont les pages ont été remplacées par un coffret à écran numérique — un téléphone mobile dit smartphone, je l’apprendrai plus tard. Il me donne quelques consignes dont celle de garder, quoiqu’il arrive, le casque sur mes oreilles, et m’invite à me mettre au travail. Il file, il est en retard.
Seule dans une pièce plutôt sinistre, j’extrais un carnet de mon sac et prends quelques notes. Ambiance sonore diffusée par le casque. Voix grave qui met en scène ma situation, pose le cadre, expose le fait divers et l’enquête qui s’ensuit pour le détective dans une histoire que je suis censée raconter. Sonnerie de téléphone — le livre cette fois — une photo apparaît sur l’écran, je reçois l’ordre de rassembler mes affaires et de me rendre sur les lieux. Parcours fléché sous la pluie battante. Froid dans l’échine. Je déplie mon parapluie et descend sur les berges de la Garonne, à l’endroit ou le cadavre qui gisait dans le fleuve a été repêché.
C’est étrange, je me sens surveillée.
La péniche bar à tapas L’Arrêt au port enfoncée dans l’eau ajoute au sinistre de cette journée de pluie. Au scénario qui se déroule dans mes oreilles. J’entends qu’un cadavre a été retrouvé à proximité du bateau, là, en bord de Garonne. J’écoute l’histoire qu’on me raconte et soudain la réalité se transforme. Casque sur mes oreilles, je suis les consignes et déambule en centre ville durant un temps dont je ne sais dire la durée. Je vois autrement mon environnement.
Je m’amuse et profite de ce samedi décalé. De ce temps hors du temps qui me fait poser sur l’environnement un autre regard, une nouvelle acuité. Je sens qu’il m’en aurait fallu peu pour que ma réalité se confonde à la fiction, créant un moment parfaitement déroutant.
Je suis impatiente de découvrir une livraison achevée de cette étrange proposition artistique.